Des documents confidentiels obtenus par le Guardian révèlent que le centre d'espionnage de la Grande-Bretagne, le Government Communications Headquarters (GCHQ), a intercepté des communications de politiciens étrangers lors de sommets internationaux, en travaillant étroitement avec la National Security Agency (NSA) américaine.
Ces documents ont trait à la surveillance de diplomates assistant à deux sommets du G20 à Londres en avril et septembre 2009. Ils ont été fournis par l'ex-agent de la NSA Edward Snowden. Snowden se cache à Hong Kong, après avoir révélé être la source des fuites sur les interceptions illégales de données des communications électroniques commises en masse par la NSA contre des citoyens américains ou étrangers. Le gouvernement Obama veut faire extrader Snowden pour trahison, l'ex-vice-président Dick Cheney a qualifié le jeune lanceur d'alerte de « traître » et espion à la solde de la Chine.
Les autorités américaines ont affirmé dans une logique perverse que les divulgations par Snowden de leurs activités inconstitutionnelles, constituent une menace pour le « peuple américain », une atteinte à la lutte contre le « terrorisme », et un « crime sérieux ». Pourtant la dernière révélation du Guardian montre clairement que les États-Unis et la Grande-Bretagne espionnent absolument tout le monde.
Ces document, dont certains ont été affichés sur le site Web du Guardian avec des parties effacées, ont été publiés au moment même où le Royaume-Uni accueille les dirigeants du sommet du G8 pour un sommet en Irlande du Nord.
L'un d'entre eux fait référence à l'utilisation de « capacités de renseignements innovantes » par le GCHQ pour intercepter les communications des diplomates étrangers.
Celles-ci comprennent la mise en place de cafés internet pour les délégués aux sommets qui étaient contrôlés par le GCHQ utilisant des programmes d'interception des mails et de logiciels qui mémorisent les mots de passe entrés pour espionner leurs communications. Faisant référence à ces cafés internet, un document se vante que les services de sécurité britanniques « ont pu extraire des informations sur les mots de passe, fournissant des accréditations pour les délégués, ce qui signifie que même après la fin de la conférence nous avons la possibilité de rassembler des informations sur eux. »
Les Blackberry des délégués ont également été piratés pour surveiller leurs messages et leurs appels téléphoniques. Un document indique : « De nouvelles capacités convergentes contre les BlackBerry ont fourni à l'avance des copies des briefings du G20 aux ministres […] Des cibles diplomatiques de toutes les nations ont l'habitude d'utiliser des smartphones. Nous avons exploité cet usage durant le G20 de l'année dernière. »
Les informations extraites ont été données à 45 analystes, leur fournissant une couverture en temps réel des discussions des délégués et de leurs contacts.
Le Guardian rapporte que les documents qu'il a reçus « indiquent que l'opération a été validée dans ses principes à un haut niveau du gouvernement du premier ministre d'alors, Gordon Brown, et que les renseignements, y compris les briefings des délégués invités, ont été transmis aux ministres britanniques. »
Le sommet du 2 avril 2009 devait discuter de l'effondrement financier mondial de 2008. Ses préparatifs ont été marqués par des tensions entre Washington et l'Europe, en particulier la France et l'Allemagne, qui étaient opposées aux demandes américaines d'appliquer des renflouements encore plus importants des banques.
L'un des documents divulgué est un briefing daté du 20 janvier 2009, établissant les consignes du directeur du GCHQ, Sir Iain Lobban, à ses responsables quant aux objectifs britanniques pour le sommet.
Le document déclare : « L'objectif du GCHQ est de s'assurer que les renseignements importants pour obtenir les résultats voulus par le Gouvernement de Sa majesté lors de sa présidence du G20 parviennent aux clients à temps et sous une forme qui leur permette d'en faire plein usage. »
D'après le journal, deux documents font explicitement référence aux résultats de la mission de renseignements qui sont transmis aux « ministres ». Les moyens par lesquels ils ont été obtenus sont des interceptions des communications des participants au sommet.
Parmi les personnes visées, il y avait le président russe Dmitry Medvedev, qui est maintenant premier ministre. Un briefing de la NSA est intitulé « Les communications des dirigeants russes en soutien au Président Dmitry Medvedev au sommet du G20 à Londres – interception à la station de Menwith Hill. »
La base de la RAF de Menwith Hill dans le Yorkshire du Nord est la plus grande installation d'interception des communications au monde. Cette zone qui est de fait une partie du territoire américain en Angleterre abrite des centaines d'espions américains travaillant en tandem avec le GCHQ.
Les communications de Medvedev ont été interceptées dès son arrivée au Royaume-Uni le 1er avril et ont été partagées avec de haut responsables de Grande-Bretagne, d'Australie, du Canada et de Nouvelle-Zélande, toujours d'après le journal.
Les communications des diplomates sud-africains ont également été très étudiées, un document indiquant que les fichiers « y compris des briefings pour les délégués sud-africains au G20 et au G8 » ont été « récupérés. »
Lors de la réunion des ministres des Finances du G20 en septembre, le ministre des Finances turc Mehmet Simsek et 15 autres de son parti ont été ciblés. Un document affirme que l'objectif était « d'établir quelle était la position turque sur les accords du sommet de Londres en avril » et leur « volonté (ou non) de coopérer avec le reste des nations du G20. »
Le Guardian affirme que le sommet de septembre était « également le sujet d'une nouvelle technique permettant de fournir un rapport en direct sur n'importe quel appel téléphonique passé par des délégués et d'afficher toutes les activités sur un graphique qui était projeté sur le mur vidéo de 15 mètres carrés du centre opérationnel du GCHQ ainsi que sur les écrans des 45 analystes spécialistes qui surveillaient les délégués. »
Le journal cite un rapport interne disant que, « Pour la première fois, les analystes ont eu une image en direct de celui qui parle et de celui à qui il s'adresse, image qui était réactualisée constamment et automatiquement. »
Il est suggéré que ces informations étaient transmises aux responsables britanniques lors de la réunion. Une étude supplémentaire affirme, « Dans une situation de direct comme celle-ci, les informations reçues peuvent être utilisées pour influencer les événements sur place qui ont lieu quelques minutes ou quelques heures plus tard. Cela signifie que ce n'est pas suffisant de passer en revue les appels téléphoniques après – une mise au point en temps réel est essentielle. »
Ces divulgations ont déclenché des réactions hostiles de la Turquie et de la Russie.
L'ambassadeur britannique à Ankara a été convoqué au ministère des Affaires étrangères turc pour ce qui a été décrit comme une « réaction furieuse. » Une déclaration officielle a affirmé, « Les allégations du Guardian sont très inquiétantes […] si ces allégations sont avérées, ce serait scandaleux pour le Royaume-Uni. À une époque où la coopération internationale dépend de la confiance mutuelle, du respect et de la transparence, de tels comportements de la part d'un pays allié sont inacceptables. »
Un porte-parole du Russe Medvedev s'est refusé à tout commentaire. Mais le sénateur Igor Morozov a déclaré que ces révélations accroîtraient la méfiance entre les États-Unis et la Russie.
« 2009 était l'année où l'on a annoncé la "remise à zéro" des relations entre la Russie et l'Amérique, » a-t-il dit. « en même temps, les services secrets américains écoutaient les appels téléphoniques de Dmitry Medvedev. Dans cette situation, comment pouvons-nous faire confiance aux annonces actuelles de Barack Obama disant qu'il veut une nouvelle "remise à zéro" ? Est-ce que les services secrets américains ne vont pas commencer à espionner Vladimir Poutine, au lieu de corriger leur comportement ? »
Les responsables britanniques ont refusé de commenter ces révélations, mais ils ont ajouté leur poids aux efforts américains pour traquer Snowden, prévenant les transporteurs aériens de ne pas lui permettre d'embarquer sur des vols à destination du Royaume-Uni. L'Associated Press a fait savoir que le ministère de l'Intérieur avait publié une alerte, avec la photographie de Snowden et les détails de son passeport, ainsi que l'avertissement que « Si cet individu tente de se rendre au Royaume-Uni : les transporteurs doivent refuser l'embarquement. »
Il est très improbable que Snowden veuille entrer au Royaume-Uni, qui continue à vouloir extrader le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, vers la Suède, le forçant à demander l'asile à l'ambassade équatorienne de Londres. Assange s'est opposé à son extradition vers la Suède parce qu'il serait alors envoyé aux États-Unis, où il a été qualifié de traître et de criminel pour avoir publié des documents classifiés révélant les conspirations internationales de Washington. Le soldat américain Bradley Manning passe actuellement devant une cour martiale, accusé d'avoir transmis ces fichiers à WikiLeaks et risque une éventuelle peine de prison à vie, voire la peine de mort.
Lundi, le ministre équatorien Ricardo Patino a dit que l'ambassade continuerait à donner l'asile à Assange. Les propositions d'autoriser Assange à se rendre en Équateur auraient été rejetées durant des négociations entre Patino et son homologue britannique William Hague.
(Article original publié le 18 juin 2013)