La réalité derrière la « reprise » de l’industrie automobile américaine

Le gouvernement Obama, les analystes d’affaires et les médias de l’information signalent un supposé rebond de l’industrie automobile américaine comme une lueur d’espoir dans le contexte sinon fragile et en stagnation de l’économie américaine.

Des travailleurs de Ford à Chicago

Alors que les constructeurs automobiles sont en train de perdre des milliards en Europe, confrontés qu’ils sont à une demande en baisse de la Chine, les ventes de véhicules ont augmenté aux Etats-Unis après un effondrement de près de 40 pour cent qui a suivi le krach économique de 2008. General Motors et Chrysler ont engrangé l’année dernière 15 milliards de dollars de bénéfices.

« L’industrie automobile est vivante et en bonne santé, » s’est félicité Goerge Magliano, l’économiste en chef de la firme de recherche IHS Automotive à New York. « Et aujourd’hui, l’une des premières industries menant la reprise, plutôt morose d’ailleurs, est l’industrie automobile. »

Comment ceci a-t-il été réalisé ? Durant la faillite et la restructuration de GM et de Chrysler, les gens de Wall Street spécialistes du « rétablissement » nommés par le gouvernement Obama ont ordonné la fermeture de dizaines d’usines, la réduction drastique des salaires, des prestations de santé et des retraites ainsi que l’élimination de toute protection face à l’allongement de la journée de travail et à l’accélération éreintante des cadences sur les chaînes de montage.

Au cours de ces dernières six années les constructeurs automobiles de Detroit ont, avec la duplicité du syndicat United Auto Workers union, réduit les coûts horaires de la main d’œuvre d’un pourcentage stupéfiant de 27 pour cent. A présent, un jeune travailleur de l’automobile perçoit – compte tenu de l’inflation et des frais de cotisation syndicale – ce que gagnait son homologue en 1931 avant la création de l’UAW.

La semaine passée, durant l’assemblée annuelle des actionnaires de GM à Detroit, le PDG Dan Akerson a défendu le renflouement d’Obama en disant, « Quatre ans après, il est assez difficile de dire que ce n’était pas un succès. Vingt-cinq milliards de dollars de bénéfices, une création d’emplois en hausse et une solide base industrielle et le fait que pour la première fois depuis plus d’une génération les trois constructeurs font des bénéfices, prouvent que c’était une décision judicieuse. »

En plus de ces profits et des versements au PDG (Akeson a bénéficié l’année dernière d’une augmentation de 44 pour cent, empochant 11,1 millions de dollars), la reprise a aussi généré de gros dividendes à l’UAW qui planifie la vente de dizaines de millions de parts de GM et de Chrysler que le syndicat avait obtenu comme partie intégrante du renflouement. La vente des parts de GM – qui sont contrôlées par le fonds VEBA [Voluntary Employees’ Beneficiary Association, qui verse les prestations aux retraités] – devrait rapporter 688 millions de dollars à l’UAW. Le président du syndicat, Bob King, et ses conseillers en placement sont présentement impliqués dans une querelle amère avec le patron de Chrysler, Sergio Marchionne, quant à la valeur des parts détenues par l’UAW.

Comme l’a dit un travailleur qualifié de l’usine Chrysler « Sterling Stamping » dans la banlieue de Detroit, « Le syndicat est une marionnette de la compagnie. Il défend ses propres intérêts. Sergio dit vouloir donner 6,5 milliards de dollars à l’UAW pour leurs actions VEBA. En faisant monter le prix de l’action, [l’UAW] gagne encore plus d’argent. C’est un conflit d’intérêts. »

La restructuration de 2009 a aussi privé les travailleurs de leurs droits fondamentaux acquis de haute lutte sur des générations dont la journée de huit heures et un salaire égal pour un travail égal. L’UAW a donné le feu vert aux constructeurs automobiles pour embaucher un nombre illimité de travailleurs de « second ordre » (second-tier) payés autour de 15 dollars l’heure – ou la moitié du salaire de base.

Entre-temps, tant les travailleurs jeunes que les plus âgés sont obligés de travailler en fonction du système d’horaires de travail alternatifs (Alternative Work Schedule, AWS) qui établit des journées de travail de 10 heures sans paiement d’heures supplémentaires. Les travailleurs syndiqués à l’UAW avaient acquis au bout d’une grève amère chez Ford en 1941 le paiement des heures supplémentaires après les huit premières heures.

En vertu du système AWS ou du système 3-2-120, trois équipes travaillent en deux postes de 120 heures par semaine. A l’usine de montage Chrysler Jefferson North à Detroit, l’équipe « A » travaille 10 heures par jour, en équipe de jour de 6 heures à 16 heures 30 du lundi au jeudi. L’équipe « B » travaille 10 heures de nuit, de 18 heures à 4 heures 30 du matin du mercredi au samedi. L’équipe « C » travaille 10 heures de nuit, le lundi et le mardi et 10 heures de jour le vendredi et le samedi.

« Je fais partie de l’équipe B et je n’aime pas ça, » a dit un jeune travailleur de l’usine Jefferson North. « Je déteste travailler le samedi. Nous travaillons si tard la nuit que nous ne finissons qu’à 4 heures 30 du matin. En plus, un dimanche travaillé par mois est obligatoire. Nous gagnons si peu d’argent à cause du paiement « two tier » que les heures supplémentaires aident à payer les factures. »

« Je travaille chez Chrysler depuis près d’un an. Un grand nombre de gens ne peuvent s’habituer au travail et partent. Ce n’est pas pour tout le monde. Certains postes sont plus fatigants que d’autres. Ils soumettent votre organisme à l’usure. Certains postes vous obligent à soulever des objets lourds. Et c’est tellement répétitif. »

Il a ajouté, « Je n’aime pas le salaire ‘ two-tier ‘. Je fais le même travail que mon collègue à côté qui gagne 30 dollars de l’heure. Si je maximise mon taux de salaire, je gagnerai toujours moins que les travailleurs plus âgés. Ford, Chrysler et GM en tirent de gros bénéfices. »

Les usines automobiles opéreraient apparemment à 95 pour cent de leur capacité. En 2004, les Etats-Unis disposaient de 70 usines d’assemblage. Actuellement, il n’y en plus que 55 – une réduction de 21 pour cent. Mais l’industrie veut fabriquer cette année 10,7 millions de véhicules dans ces usines, seulement 850.000, ou 7,4 pour cent de moins qu’en 2004, selon le centre d’information automobile Ward’s Automotive.

Jim, un travailleur chez Ford, a remarqué, « L’AWS est terrible. Les gens le détestent. Il ruine la vie des gens à la base. Je n’arrive pas à croire que l’UAW a approuvé cette ordure, après tout le syndicat a inventé la journée de huit heures. Je suis très déçu de mon syndicat et c’est ce que ressent un grand nombre d’adhérents. »

Avec actuellement 300.000 travailleurs de moins qu’en 2005, l’industrie automobile et les équipementiers auto planifient une embauche restreinte pour faire face à une hausse temporaire de la demande. En exploitant les hauts niveaux du chômage et du désespoir économique à Detroit et dans d’autres villes, les travailleurs nouvellement recrutés ne seront rien d’autre que des esclaves industriels dont on se débarrassera rapidement une fois que la demande diminuera. 

« Nous travaillons quatre postes de dix heures et un dimanche sur deux, ce qui fait cinq jours, » a dit un travailleur qui a à son actif 16 ans chez Warren Truck. « Je ne sais pas pendant combien de temps les gens le supporteront. Cela profite à Chrysler et pas à nous. Tout ce qui les intéresse c’est d’assurer la production. »

Il a ajouté qu’il y avait un taux de renouvellement élevé parmi les travailleurs de « second ordre ». Ils ne peuvent les garder en raison du genre de travail qu’ils font. Il est répétitif et difficile. Ils sont embauchés pour la moitié du salaire en faisant le même travail ou plus. Certains arrivent et partent au bout de quelques semaines. Ils disent pouvoir gagner plus ailleurs. Chrysler ne s’en soucie guère – tout ce que Chrysler veut c’est des corps pour son usine. » 

Ces conditions sont devenues le modèle pour la soi-disant reprise économique d’Obama. Dans le cadre de la stratégie manufacturière de « réinternalisation » (in-sourcing), les salaires de misère, l’exploitation brutale et l’insécurité constante sont devenus la nouvelle norme. L’objectif est de convaincre les entreprises mondiales qu’il sera tout aussi rentable d’implanter les activités aux Etats-Unis qu’ en Chine, au Mexique ou dans d’autres pays à bas salaire. Quant au syndicat UAW, il opère comme pourvoyeur de main-d’œuvre bon marché qui impose les dictats de la direction en échange d’une part des bénéfices que les entreprises automobiles extraient des ouvriers.

Une nouvelle génération de travailleurs automobiles est en train d’être projetée dans la lutte à l’image de leurs grands-pères dans les années 1930. De nouvelles organisations de lutte organisées indépendamment des syndicats et des grands partis pro-patronaux doivent être construites pour unir les travailleurs de l’automobile et lutter pour l’abolition des salaires « two-tier », des heures supplémentaires obligatoires et autres formes d’asservissement industriel.

Les puissantes traditions du socialisme et de l’internationalisme, qui ont animé les luttes des générations précédentes, doivent être relancées sur la base d’une perspective et d’un programme révolutionnaires. Les banques et les industries de base doivent être placées sous le contrôle démocratique des travailleurs et réorganisées à l’échelle mondiale afin de satisfaire les besoins humains et non les profits privés en garantissant des emplois bien rémunérés pour tous. Nous invitons tous les travailleurs qui veulent engager cette lutte à contacter le Socialist Equality Party (contact the Socialist Equality Party).

(Article original paru le 12 juin 2013)

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