Depuis août, les dockers portugais mènent des grèves à Lisbonne, Aveiro, Setubal, Figueira da Foz, et dans d'autres ports plus petits contre les projets de restructuration du gouvernement de coalition unissant le Parti social démocrate (PSD) et le Parti populaire (PP). Le 29 novembre, les dockers ont manifesté devant le Parlement pendant que les projets étaient votés avec le soutien du Parti socialiste portugais (PSP) d'opposition.
Les syndicats de dockers ont formé un front commun sous la bannière, « Nous ne marcherons plus jamais séparément. » Mais c'est précisément ce qui est en train de se produire. Les dockers ont été isolés par les syndicats au Portugal et ceux qui prétendent les représenter en Europe et dans les autres pays.
Cette proposition de restructuration des ports comprend la réduction des coûts du travail allant jusqu'à 30 pour cent et un changement fondamental des descriptions de postes. Actuellement, le travail portuaire comprends tout ce qui a lieu dans l'enceinte du port, mais la nouvelle loi en exclut les entrées de service, les entrepôts et les opérations de conduite de camions, les ouvrant aux intérimaires moins payés. Le but principal est de briser le système de bassin d'emploi, qui a jusqu'ici atténué les effets de la précarité des emplois qui a ravagé cette industrie au 20e siècle.
Au cours du débat parlementaire, le ministre de l'économie Álvaro Santos Pereira a déclaré que les réformes de « secteur clef » visent à « préparer l'économie pour l'avenir » en la rendant plus compétitive. Les réformes étaient l'une des demandes principales de la "troïka" (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne) en échange des 78 milliards d'euros du plan de renflouement accordé au Portugal l'an dernier. Dans un entretien récent, le chef de mission du FMI au Portugal, Abebe Aemro Selassie, a fait l'éloge de la restructuration : « Une réforme de l'emploi dans les ports qui fera date va bientôt s'achever, avec des effets positifs substantiels sur les coûts du travail et l'efficacité. »
Les grèves ont affecté le commerce import-export du Portugal pour 1,2 milliard d'euros. L'association industrielle portugaise (AIP) demande que le gouvernement impose un « ordre de réquisition civil » aux dockers, ce qui les contraindrait à travailler sous peine d'emprisonnement. Un ordre de ce genre est normalement utilisé lors des situations d'urgence nationale, comme une guerre ou une catastrophe naturelle, et nécessite l'accord du président.
Les médias dénoncent les dockers « surpayés ». Pourtant le salaire de départ normal au port de Lisbonne est de 873 euros par mois, et s'élève à 1939 euros pour le poste le mieux payé de surintendant.
Les réformes des ports portugais font partie d'une tentative étalée sur une dizaine d'années de la part de l'Union européenne pour restructurer les ports sur tout le continent. En septembre le Vice-président de la Commission européenne et le Commissaire aux transports Siim Kallas ont prévenu lors d'une conférence passant en revue la Politique portuaire européenne que des réformes de grande ampleur sont « cruciales si l'on veut que les ports soient réellement efficaces et puissent rivaliser mondialement avec les ports concurrents d'Afrique du Nord ou d'Asie – en particulier de Chine. » et également importants pour construire « un [réseau de transport trans-européen] unique et uni. »
D'autres intervenants y ont fait remarquer que les gros navires ne s'arrêteront qu'à quatre ou cinq destinations en Europe, ce qui implique une compétition accrue entre les ports. Le Portugal est particulièrement vulnérable, car il est à la périphérie de l'Europe et commerce maintenant principalement avec des pays européens par voie terrestre plutôt que maritime. Près de 65 millions de tonnes de cargo transitent par le Portugal chaque année, contre 550 millions chacun pour le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
Kallas a déclaré qu'il voulait en finir avec l'approche de « droit mou » de la précédente commission et adopter une « approche de droit [plus] dur ». De nouvelles propositions pour des dérégulations supplémentaires seront publiées en 2013.
Les syndicats, qui ont planifié et négocié ces coupes, demandent simplement plus de « consultation » sur la manière dont les coupes seront appliquées. Au cours des vingt dernières années, les syndicats portugais ont supervisé la privatisation des ports et la précarisation de plus en plus prononcée des emplois, au point que certains ports n'emploient que des travailleurs précaires. Des journées de service de 14 heures, 20 heures, ou même plus, ne sont pas rares.
En septembre, le gouvernement a validé les propositions de restructuration avec neuf syndicats sur 11, dont l'Union générale des travailleurs (UGT) qui représente environ 20 pour cent des dockers. Cela a non seulement aidé le gouvernement à faire passer la loi au Parlement, mais a aussi permis à d'autres ports portugais de braconner le trafic des ports en grève.
En octobre, le port de Lisbonne a perdu 28 pour cent de son tonnage comparé à octobre 2011, pendant que le port non gréviste de Leixoes a vu une augmentation de 14,8 pour cent et celui de Sines, de 23,2 pour cent.
Le chef du Front commun Victor Dias a juré de continuer à lutter contre la nouvelle loi de restructuration « par des voies légales, politiques et syndicales, » pour « en vider certains de ses aspects les plus négatifs » et son inconstitutionnalité.
La Fédération internationale des travailleurs des transports (ITF) et la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) ainsi que le Conseil international des dockers (CID) ont publié des appels de soutien aux dockers portugais et envoyé de petites délégations de représentants aux manifestations et sur les piquets de grève. En septembre, durant la Conférence sur la politique portuaire européenne, un arrêt de travail d'une heure a été organisé en Europe « en solidarité » contre la nouvelle réforme des ports.
Le président de la section des dockers de l'ETF, Terje Samuelsen, a déclaré que « le Portugal peut être considéré comme un laboratoire pour la politique portuaire européenne. Diverses mesures mises en avant par le gouvernement portugais correspondent parfaitement aux propositions qu'on peut attendre dans toute l'Europe. Nous avons vu cela avant dans les projets portuaires un et deux. Nous les avons battus à l'époque et nous allons les battre cette fois-ci. »
Derrière la démagogie de Samuelsen cependant, la réaction officielle de l'ETF à cette conférence révèle que : « l'ETF espère une discussion plus constructive sur l'avenir des ports de l'UE que le processus de passage en revue entrepris par la Commission jusqu'à présent. En particulier, l'ETF anticipe une discussion sur les inquiétudes soulevées par ce rapport avec la Commission et d'autres organismes impliqués […] cela inclura l'opportunité pour les affiliés de l'ETF de passer en revue l'étude du droit du travail dans les ports, la sécurité et la santé, les formations et les qualifications. » Le CID a publié des appels « aux organisations des opérateurs des ports, aux compagnies de transport et aux autorités portuaires à accueillir le dialogue social comme la meilleure méthode pour améliorer la productivité et la compétitivité dans les ports, en particulier du fait que ceci affecte le travail des dockers. »
Tout au long de l'année passée, la restructuration des ports a entraîné plusieurs grèves et manifestations – au Royaume-Uni, en Suède, en Italie et en Espagne. Les syndicats n'ont fait aucune tentative d'unir ces luttes ni de monter une offensive paneuropéenne. Dans le plus grand port de Grèce, le Pirée, les terminaux de conteneurs ont été transférés à la China Ocean Shipping Compagny (Cosco) en 2010 par un bail sur 35 ans. Les dockers du port ont réagi par une série de grèves. L'ETF a publié les appels rituels au soutien et à la solidarité, l'envoi réglementaire de quelques représentants dans les manifestations et une grève de 2 heures « pour exiger des conditions de travail décentes » à Cosco.
Aujourd'hui, les syndicats et les négociations collectives sont interdits dans cette entreprise de plus de 500 salariés, pour la plupart employés par des contrats temporaires sans indemnités chômage. Un employé licencié par Cosco a déclaré aux journalistes qu'il gagnait la moitié du salaire précédent – 600 euros par mois, soit 50 euros pour une journée de huit heures sans pause-repas ni pause-toilettes. Il n'avait aucun emploi du temps prévisible et pendant 9 mois avait été d'astreinte 24 heures sur 24.
L'ouvrier a dit, « Je pense que leurs agissements violent la loi… On a droit à avoir quelque chose à manger vers midi [et] à faire nos pauses, et pas à travailler comme un chien du matin au soir. »
(Article original paru le 27 décembre 2012)