Perspective

Obama et la torture

Alors que le gouvernement d'Obama se prépare à entamer son second mandat, avec ses apologistes libéraux et "de gauche" spéculant sur les perspectives d'une action progressiste, les événements ont une fois de plus montré clairement que le président démocrate poursuit les crimes de son prédécesseur et va plus loin encore.

Durant ses quatre premières années au gouvernement, Obama et son ministre de la Justice, Eric Holder, ont œuvré agressivement à mettre un terme à toutes les enquêtes sur les tortures commises par la CIA et sur les autres crimes commis au nom de la « guerre contre le terrorisme. » Ils sont intervenus affaire après affaire pour faire échec aux plaintes visant à faire répondre de leurs actes ceux qui avaient illégalement enlevé et torturé des milliers d'individus. Ils ont demandé l'abandon, au nom du secret d'Etat, des actions légales qui cherchaient à révéler des informations sur ces crimes.

Le résultat de cette politique sordide est que les tortionnaires et ceux qui leur ont donné des ordres, depuis les interrogateurs de la CIA jusqu'à la Maison blanche, jouissent d'une immunité complète. Voilà le climat politique délétère dans lequel un film fasciste comme Zero Dark Thirty [sur la traque de Ben Laden, réalisé par Kathrine Bigelow, ndt] qui justifie implicitement la torture et rend l'ensemble du peuple américain responsable de ce crime, peut recevoir de multiples récompenses et les louanges des critiques. 

Cependant, comme le montre clairement un reportage du Washington Post cette semaine, les actions de la Maison blanche sous Obama n'ont pas eu simplement pour but de cacher et exonérer les crimes du passé, mais également de rendre possible leur continuation à un niveau qualitativement plus important. 

Le Post rapporte le sort de trois hommes – dont deux citoyens suédois et un résident britannique de longue date, tous d'origine somalienne – ils ont été arrêtés durant leur voyage dans le pays africain de Djibouti et placés en détention, où ils ont été soumis à des interrogatoires répétés de la part des responsables du renseignement américain pendant plusieurs mois. 

Le crime supposé de ces détenus secrets était de soutenir al-Shabab, une milice islamiste qui a contrôlé des grandes étendues du Sud de la Somalie. Si cette organisation n'a été impliquée dans aucune attaque contre les États-Unis, elle a été désignée comme organisation terroriste étrangère par Washington, qui a mis à prix la tête de ses dirigeants. 

Derrière cette décision, il y a la tentative du gouvernement américain d'exploiter le prétexte de la « guerre contre le terrorisme » pour resserrer le contrôle américain sur la Somalie, un territoire stratégique dont la côte forme le détroit de Bab al-Mandab et permet de passer de l'Océan indien vers la Méditerranée et par lequel transite la majeure partie du pétrole mondial. 

Intitulé, « les externalisations ('renditions') continuent sous Obama, malgré des inquiétudes sur le respect des procédures », l'article du Post affirme : « Ces hommes sont le dernier exemple en date de la manière dont le gouvernement d'Obama a fait siennes les externalisations ( pratique qui consiste à détenir et interroger des suspects dans d'autres pays sans respecter les procédures américaines) et ce malgré une large condamnation de cette tactique dans les années qui ont suivi les attaques du 11 septembre 2001. » 

Arrêtés en août dernier, les trois hommes n'ont été présentés devant une cour fédérale que le 21 décembre. Ce qui leur est arrivé au cours des quatre mois précédents n'a pas été révélé par les procureurs fédéraux. 

Ce reportage cite une affaire de 2011 contre un autre prétendu partisan d'al-Shabab, un Érythréen, qui a été envoyé dans une prison nigérienne pour interrogatoire par des Américains. Dans son cas, le témoignage d'un des interrogateurs américains, décrit comment cet individu a été d'abord soumis à des méthodes illégales d'interrogatoire par une « équipe sale » d'agents américains avant d'être rendu à une « équipe propre » qui lui a lu ses droits (celui de garder le silence, etc), puis a cherché à obtenir une confession présentable devant un tribunal américain. 

Ce qui est décrit ici, c'est ce que l'ex-vice président Dick Cheney avait une fois appelé « passer du côté obscur », un euphémisme qui recouvre les externalisations, la torture et les assassinats extrajudiciaires. 

Ce reportage sur les trois hommes accusés d'être des partisans d'al-Shabab intervient quelques semaines seulement après que la Cour européenne des droits de l'homme a rendu une décision ferme qualifiant d'« assimilable à de la torture » l'enlèvement, l'externalisation et la « disparition forcée » prolongée de Khaled El-Masri, qui avait été pris par la CIA en Macédoine il y a près de neuf ans. 

Durant les années où il a été retenu sans aucun contact avec l'extérieur, El-Masri a été soumis à de multiples actes de torture, dont la sodomie, la privation sensorielle, des coups, une alimentation forcée, et le refus de soins médicaux. C'est tout l'intérêt des externalisations et de la détention au secret : de créer les conditions nécessaires pour "briser" un détenu. C'était le cas sous Bush, et ça l'est toujours sous Obama. 

Qu'est-ce qui a changé ? D'après l'article du Post, une « impasse » avec le Congrès au sujet du sort du camp militaire de prisonniers de Guantanamo Bay à Cuba, et des barrières s'opposant à la proposition du gouvernement de tenter de juger les prétendus terroristes devant des tribunaux américains « ont entraîné une politique de fait sous laquelle le gouvernement trouve plus simple d'abattre les suspects de terrorisme » au moyen d'attaques de drones, pendant que les externalisations « sont devenues encore plus importantes qu'avant. » 

Le même jour que le reportage du Post, un juge fédéral new-yorkais a rejeté une action en justice qui demandait que le gouvernement rende public un mémoire qui détaillait les arguments juridiques du gouvernement d'Obama pour justifier le droit qu'il s'est arrogé d'assassiner des citoyens américains, dont le prêtre né au Nouveau-Mexique Anwar al-Awlaki, tué par une frappe de drone en 2011 au Yémen. 

La décision de la juge Colleen McMahon revient à une déclaration d'impuissance de la part du pouvoir judiciaire face à l'assaut des dix dernières années contre les droits démocratiques et la criminalité crasse du pouvoir exécutif. 

« Je ne peux trouver aucun moyen de contourner la masse de lois et de jurisprudences qui permet effectivement au pouvoir exécutif de notre gouvernement de déclarer comme parfaitement légales certaines actions qui semblent à première vue incompatibles avec notre Constitution et nos lois, tout en maintenant secrètes les raisons de leurs conclusions, » a-t-elle écrit. 

Une fois de plus, l'absence d'une base un tant soit peu significative en faveur des principes constitutionnels et des droits démocratiques au sein de l'élite américaine est mise en évidence. Le président américain, Barack Obama, s'est arrogé le droit de soumettre les citoyens américains à une détention militaire sans limitation de durée et d'ordonner leur assassinat sans accusations ni procès, sur la seule foi de sa propre appréciation qu'ils sont des ennemis de l'Etat. Et ni le pouvoir judiciaire, ni aucune autre personnalité des deux grands partis, ni parmi les grands médias, n'est prêt à défier cette politique dictatoriale.

En dernière analyse, cette trajectoire politique plonge ses racines dans la crise historique du capitalisme américain et son expression maligne dans le fossé qui sépare une oligarchie financière de la classe ouvrière, qui est la grande majorité de la population. La croissance sans précédent de l'inégalité sociale rend les droits démocratiques et les principes constitutionnels de base inapplicables.

Conscient que sa politique consistant à faire peser tout le poids de la crise sur le dos des travailleurs va provoquer des troubles révolutionnaires, l'élite dirigeante prépare le cadre légal d'un Etat policier. La classe ouvrière doit faire ses propres préparatifs. La défense de tous les droits démocratiques et sociaux aujourd'hui dépend de la mobilisation par la classe ouvrière de sa force politique indépendante dans une lutte pour mettre fin au capitalisme.

(Article original paru le 4 janvier 2013)

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