Le 25 janvier, à l’occasion du second anniversaire de la révolution égyptienne, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes sont descendus dans la rue à travers toute l’Egypte pour réclamer l’éviction du président islamiste, Mohamed Morsi, et des Frères musulmans (FM) au pouvoir, soutenus par l’Occident.
Les slogans qui ont été repris sur toutes les places du pays étaient : « Le peuple veut la chute du régime, » « Morsi dégage » et « Pain, liberté, justice sociale. »
Les scènes rappelaient les premiers jours de la révolution du 25 janvier 2011, qui avait culminé dans un mouvement de grève de masse de la classe ouvrière égyptienne et le renversement, 18 jours plus tard, du dictateur Hosni Moubarak.
Hier, les protestations de masse étaient dictées par l’inégalité sociale ahurissante en Egypte et qui n’a fait que s’aggraver sous le régime islamiste.
Sur la Place Tahrir, au Caire, centre symbolique de la révolution de 2011, Kareem Abo Zaid, un enseignant de 28 ans, a expliqué à Ahram Online pourquoi il avait rejoint les protestations : « La révolution a été détournée. Nous voulons mener à bien l’objectif de la révolution. La situation devient de plus en plus dure sous le régime des Frères : le chômage augmente et les emplois sont difficiles à trouver. »
« Je suis là pour faire partir Morsi, » a déclaré Moustafa Magdi, un diplômé d'école de commerce, sans emploi. « D’abord Moubarak, puis Tantaoui et maintenant Morsi. Nous ne sommes gouvernés que par des salauds. »
Dans la métropole côtière d’Alexandrie où des dizaines de milliers ont défilé, Ezz El-Din El-Azzazy, 29 ans, a exprimé sa colère contre Morsi et les FM : « Je suis ici à cause de l’augmentation des prix. Je viens des bidonvilles et je sens que les Frères ne s’intéressent aux pauvres que lorsqu’ils ont besoin de leurs voix. »
La colère populaire contre la politique droitière et de libre marché des FM droitiers, qui sont en train de négocier un prêt avec le Fonds monétaire international sur la base d’une politique de libéralisation et de réduction drastique des subventions vitales pour le pain et le carburant, a explosé dans le courant de la journée. Des dizaines de milliers de personnes ont afflué dans les rues des principales villes du pays.
Dans la ville portuaire de Suez, trois marches ont convergé sur la place Al-Arbaeen, un autre épicentre de la révolution, alors que les travailleurs et les jeunes criaient : « Pain, liberté, le président a perdu toute légitimité. » Ils brandissaient des bannières disant : « Deux ans depuis la révolution, l’Egypte a besoin d’une nouvelle révolution. » Plus tard dans la journée, les manifestants ont défilé vers les quartiers généraux du gouvernorat de la ville, en prenant d’assaut le bâtiment et en accrochant à l’intérieur des affiches des martyrs de la révolution.
A Beni Suef, les manifestants ont bloqué les lignes ferroviaires paralysant ainsi totalement le trafic entre Le Caire et Aswan. Les voies ferrées ont aussi été bloquées par les manifestants dans les grandes villes industrielles du delta du Nil, Mahalla el-Kubra et Kafr el-Zayat.
Dans d’autres villes, dont Alexandrie, la ville côtière d’Ismaïlia et la ville de Damanhour dans le delta du Nil, des centaines de jeunes en colère ont envahi les locaux des FM et de leur bras politique, le Parti Liberté et Justice (PLJ).
Les appels exigeant l’éviction de Morsi représentent le verdict des masses égyptiennes à l’égard du programme de Morsi qui, à l’image du régime de Moubarak avant lui, consiste à piller la classe ouvrière égyptienne dans l’intérêt du capital financier.
La veille de l’anniversaire, Morsi avait signalé qu’il planifiait une répression sanglante contre les protestations de la classe ouvrière. Dans un discours cynique qu’il a tenu à la salle de conférence d’Azhar au Caire pour la fête de Milad-an-Nabi (marquant la naissance du prophète Mohamed), il avait affirmé que les forces de la « contre-révolution », dirigées par les restes du régime Moubarak, étaient en train de tenter de « miner l’Etat. » Il a ensuite exposé son soi-disant programme « révolutionnaire » pour les masses égyptiennes en exigeant qu’elles concentrent leurs efforts sur le travail et la production afin de fournir un « environnement approprié à l’investissement. »
Les partis bourgeois séculaires égyptiens et leurs partisans pseudo-gauches – tels le Front du Salut national (FSN), le Parti de l’Egypte forte et les Socialistes révolutionnaires (SR) – ont réagi aux nouvelles protestations en s’efforçant de collaborer plus étroitement avec Morsi.
Alors que les affrontements entre les manifestants et le régime s’intensifiaient, le FSN – dirigé par le libéral Mohamed ElBaradei, le nassérite Hamdeen Sabahi et l’ancien responsable du régime Moubarak, Amr Moussa – tenaient une réunion d’urgence. Ils ont proposé de former « un gouvernement de salut national représentant la diversité des Egyptiens. »
L’hostilité de l’opposition officielle aux revendications des travailleurs et des jeunes égyptiens a été résumée par Abdel Moneim Aboul-Fotouh, l’ancien candidat présidentiel et dirigeant du Parti de l’Egypte forte. Durant une marche en direction de la place Tahrir, il a dit à Al-Ahram qu’il refusait les slogans « le peuple veut la chute du régime » et « à bas le régime du Guide suprême [Frères musulmans]. » Il a souligné que le 25 janvier 2013 n’était pas le 25 janvier 2011 et déclaré que l’objectif était de réformer le régime et pas de le renverser.
Tout comme le régime Moubarak il y a deux ans, Morsi a déchaîné les tristement célèbres Forces centrales de sécurité (FCS) et l’armée pour réprimer brutalement les protestations.
Selon le journal Egypt Independent, l’armée égyptienne a été déployée au Caire, à Gizeh, à Suez, à Ismaïlia et à Port Saïd. Des chars et des véhicules blindés montaient la garde devant les bâtiments gouvernementaux et les principales routes, comme la route à travers le désert occidental reliant Le Caire à Assiout et des autoroutes reliant les principales villes entre elles.
Dans la soirée, la violence des forces de sécurité a mal tourné. Au moins sept manifestants auraient été tués à Suez, alors que des unités des FCS ont attaqué des manifestants aux quartiers généraux du gouvernorat. Mohamed Salama, le chef de l’ordre des médecins de Suez a dit que plusieurs manifestants – dont Mostafa Mahmoud Eissa, 17 ans, et Mohamed Mohamed Gharib, 16 ans – avaient trouvé la mort, touchés par des balles réelles et des tirs de chevrotine.
Parmi les autres victimes on compte Ali Soliman, 19 ans, Mohamed Mahmoud, 15 ans, Hussein Mahmoud, 36 ans, Walid El-Sayed Hussein, 30 ans et Mahmoud Ashour. Plus de 60 personnes ont été blessées dans la ville.
Dans la ville côtière d’Ismaïlia, Nasser al-Yamany, 23 ans, est mort après avoir reçu une balle dans le dos.
A Mahalla, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles de caoutchouc sur les manifestants qui se dirigeaient vers les locaux du gouverneur en exigeant la chute des FM et en scandant « Mahalla rejoint Tahrir ». Plus tard dans la soirée, le bâtiment aurait été incendié au milieu des affrontements avec la police.
Au Caire à plusieurs reprises dans la journée, les FCS ont attaqué les manifestants sur la Place Tahrir et dans les rues avoisinantes en lançant des bombes lacrymogènes dans la foule. Dans la soirée, les Médecins Tahrir – une organisation de médecins soignant les manifestants blessés – ont lancé un cri d’alarme en déclarant que la quantité de gaz flottant dans l’air avait atteint un « niveau dangereux » susceptible de causer la mort par asphyxie. Après minuit, les affrontements se sont aussi intensifiés à Maspero, quartiers généraux de la télévision et de la radio d’Etat égyptiennes où les forces de sécurité tentaient de repousser les milliers de manifestants qui essayaient de pénétrer dans le bâtiment.
Selon un communiqué official publié par le ministère de la Santé, Il y a eu en tout 252 blessés au Caire, à Alexandrie, à Beheira, à Louxor, à Kafr El-Sheikh, à Ismaïlia, à Gharbia, à Sharqiya et à Suez.
A voir aussi:
Deux ans après la révolution égyptienne
[28 janvier 2013]
(Article original paru le 26 janvier 2013)