Dans son discours sur l’état de l’Union la semaine dernière, le président Obama a commencé en déclarant que la reprise économique était bien amorcée. «Ensemble, nous avons déblayé les décombres de la crise», a-t-il affirmé, «et nous pouvons dire, avec une confiance renouvelée, que l’état de notre union est fort».
Les plus récentes statistiques sur l’inégalité sociale aux États-Unis, rendues publiques le mois dernier, montrent plus clairement ce que signifie véritablement cette déclaration. Pour Obama et la totalité de l’établissement politique, les principaux indices de la crise sont les marchés boursiers et la richesse de l’élite patronale et financière.
Selon des données compilées par Emmanuel Saez de l’Université de Californie, le revenu réel moyen par famille a crû de 1,7 pour cent entre 2009 et 2011 — soit durant les deux premières années de la «reprise». Cependant, Saez note que «Le 1 pour cent des revenus les plus riches a crû de 11,2 pour cent tandis que les 99 pour cent inférieurs ont diminué de 0,4 pour cent. Ainsi, le 1 pour cent supérieur a accaparé 121 pour cent des augmentations de revenu durant les deux premières années de la reprise.»
Autrement dit, la tranche supérieure de 1 pour cent a absorbé la totalité de la croissance des revenus durant deux ans, plus 20 pour cent. Ces chiffres montrent un immense transfert de richesse, une injection de fonds dans les marchés financiers aux dépens de la majorité de la population : la classe ouvrière.
Saez écrit aussi : «En 2012, la tranche supérieure de 1 pour cent va probablement assister à une amélioration fulgurante de sa position en raison du boom des valeurs des actions et du réajustement des revenus pour éviter les taux d’imposition plus élevés de 2013. De 2011 à 2012, les revenus des 99 pour cent inférieurs vont probablement croître beaucoup plus modestement que ceux du 1 pour cent supérieur. Il semblerait donc que la Grande Récession n’a que temporairement réduit la part des revenus obtenue par les couches les plus riches et qu’elle n’effacera pas les augmentations radicales de la part des revenus qu’accaparent ces couches qui prennent place depuis les années 1970.»
Ces tendances dans le partage des revenus ne sont pas simplement le produit de forces économiques abstraites. Elles proviennent d’une politique de classe bien précise et impitoyable menée d’abord par Bush et intensifiée par Obama. En réponse au krach de 2008, qui a été le résultat de spéculation financière à une échelle historiquement sans précédent, des sommes d’argent illimitées ont été offertes aux banques par le gouvernement et la Réserve fédérale.
Pour financer le boom de la bourse, la Fed a acheté des actifs d’une valeur de quelque 2 billions $ depuis 2008, essentiellement en imprimant un montant égal d’argent pour la transférer dans le système financier. Internationalement, les gouvernements ont mis en oeuvre une politique semblable. Les résultats étaient prévisibles : les bulles d’actifs ont gonflé à nouveau, tandis que les mauvaises dettes de l’aristocratie financière ont été transférées aux banques centrales et aux budgets gouvernementaux.
Le corollaire de ces mesures a été une attaque systématique et continuelle sur les niveaux de vie de la vaste majorité de la population. Dans son discours sur l’état de l’Union, Obama a louangé la prétendue résurgence des emplois manufacturiers – en fait, une petite minorité des emplois abolis ont été restaurés. Il n’a pas mentionné que les emplois qui avaient été créés l’ont été sur la base de salaires de misère, amenés par la restructuration de l’industrie de l’automobile en 2009 par l’administration Obama.
Ainsi, le nombre de «travailleurs pauvres» aux États-Unis – ceux qui sont presque pauvres même s’ils ont un emploi – a fortement augmenté. En 2011, 47,5 millions de personnes vivaient dans des familles gagnant moins de 200 pour cent du taux de pauvreté officiel. C’est près du tiers (33 pour cent) de toutes les familles de travailleurs, en hausse par rapport à 31 pour cent en 2010 et 28 pour cent en 2007.
Ces statistiques n’incluent pas les chômeurs. Malgré le déclin officiel du taux de chômage, qui est largement dû aux millions de personnes qui ont quitté la force de travail, la proportion de travailleurs dans la population demeure près du plus bas taux atteint après la crise.
Derrière la rhétorique peu convaincante d’un retour d’une «classe moyenne prospère», Obama a clairement fait savoir que les politiques de l’administration durant son deuxième mandat seront totalement subordonnées aux intérêts de la grande entreprise, en commençant par des coupes de centaines de milliards de dollars en santé.
Ces statistiques sur l’inégalité en disent long sur la société américaine : une société dominée par une minuscule aristocratie. Le programme de tout l’établissement politique est dicté par la défense de la richesse de cette couche sociale. C’est le conflit entre cette aristocratie et la classe ouvrière qui représente la division sociale fondamentale, et non pas les diverses formes de politiques identitaires qui font maintenant partie intégrante de l’idéologie d’État.
Ces relations sociales sont absolument nécessaires à la compréhension de la crise de la démocratie aux États-Unis. Sans aucune véritable opposition de la part des médias ou de l’établissement politique, l’administration Obama s’est arrogé le droit d’assassiner des citoyens américains sans contrôle judiciaire ou jugement en bonne et due forme.
Des principes démocratiques fondamentaux qui datent de plusieurs siècles sont tout simplement jetés aux orties. Après la couverture médiatique qui a suivi immédiatement la divulgation du livre blanc du gouvernement sur l’assassinat extra-légal de citoyens américains, il y a maintenant silence sur la question. La personne qu’Obama a choisie pour diriger la CIA, John Brennan, l’architecte des «listes d’assassinats », devrait obtenir l’appui du Sénat pour sa nomination plus tard ce mois-ci.
Sous la bannière de la «guerre contre le terrorisme», une croissance inexorable des pouvoirs de l’exécutif a pris place au cours de la dernière décennie : qu’il s’agisse de la détention indéfinie, des commissions militaires, de l’espionnage interne ou du maintien d’immenses bases de données de communications.
Les formes démocratiques de gouvernement ne sont pas compatibles avec les niveaux incroyables d’inégalité qui imprègnent la société américaine.
La défense de la démocratie et l’opposition à l’inégalité sont inextricablement liées et dépendent toutes deux du développement d’un mouvement politique de la classe ouvrière en opposition au capitalisme, soit les fondements économiques sur lesquels repose l’aristocratie moderne.
(Article original paru le 16 février 2013)