Perspective

Detroit autorisée à se placer en faillite

L’autorisation, mardi dernier, par les tribunaux de placer Detroit en faillite marque un point tournant dans l’histoire des relations de classe aux États-Unis. Donnant son aval à la plus grande faillite municipale de l’histoire des États-Unis, le juge fédéral à Detroit a essentiellement décidé que les employés du secteur public n’ont pas le droit à des pensions de retraite.

Selon le juge Steven Rhodes, toute ville ou État peut utiliser les lois fédérales sur la faillite pour priver les travailleurs des avantages qu’ils ont accumulés pendant toute leur carrière, même si la constitution d’un État comme le Michigan protège explicitement leurs retraites.

Ceci représente une vaste conspiration contre la classe ouvrière dont les implications sont nationales et internationales. Une conspiration qui a été organisée avec la participation et l’appui de l’administration Obama.

L’onde de choc du verdict se fait déjà sentir bien au-delà de Detroit. Dans les heures qui ont suivi le verdict du juge, les deux chambres de la législation d’État de l’Illinois ont passé des projets de loi pour «réformer» les fonds de pension en repoussant l’âge de retraite, en réduisant les augmentations liées au coût de la vie et les autres avantages sociaux.

Célébrant la décision, le quotidien Detroit News a écrit mercredi que le verdict «détruit la croyance vieille de 50 ans selon laquelle les régimes de retraite du secteur public sont une vache sacrée au Michigan». Le journal poursuit: «Cet appel va certainement résonner partout dans le pays parmi les villes et les commissions scolaires aux prises avec des régimes de retraite hors de contrôle» qui envisagent la possibilité de se débarrasser «des obligations promises aux retraités du secteur public par une faillite déclarée au fédéral».

Le Wall Street Journal a fait l’éloge du verdict dans un éditorial intitulé «La percée réalisée par la faillite de Detroit». Résumant sur un ton approbateur les grandes implications juridiques du verdict, le Journal écrit: «Detroit est le premier cas de Chapitre 9 dans lequel la loi fédérale sur la faillite l'emporte définitivement sur les règlements d'État protégeant les fonds de retraite.»

La décision pave la voie à la vente des actifs de la ville afin de payer les banques et les investisseurs qui sont les créanciers de la dette municipale. Le jour après le verdict de Rhodes, la société de ventes aux enchères Christie’s a divulgué sa première évaluation des chefs-d’œuvre publics du Musée d’art de Detroit (Detroit Institute of Arts, DIA) que l'administrateur spécial de la ville, Kevyn Orr, prévoit liquider.

Bien consciente que les syndicats ne feront rien pour défendre la classe ouvrière, la classe dirigeante américaine se sent libre de voler les avantages et les droits, garantis par la loi, des travailleurs. Le précédent qui est établi à Detroit sera utilisé pour attaquer les programmes fédéraux comme l'assurance maladie aux personnes âgées (Medicare) et l'aide sociale.

Tout est sur la table: les pensions, la santé, l'éducation publique, la sécurité au travail et les lois interdisant le travail des enfants. Tout ce qui pose un frein aux profits des dirigeants de la grande finance doit partir. Si un travailleur ne crée plus de richesse pour le capitaliste, il n'est plus bon à rien et constitue un «fardeau pour la société». Pour eux, vivement un retour «à la bonne vieille époque» où les gens travaillaient jusqu'à leur mort ou finissaient leurs jours dans des refuges pour les sans abris.

Aucun des gains sociaux passés de la classe ouvrière, qui sont maintenant sous attaque, ne lui a été offert. Ils ont dû être arrachés à la classe dirigeante, et celle-ci a eu recours à la terreur, les machinations et la violence pour tenter d'écraser les travailleurs qui luttaient contre leurs conditions d'exploitation intensive. L'aide sociale et les autres réformes du New Deal n'ont été accordées qu'après que des grèves générales ont fait trembler les villes à travers le pays comme Toledo, Minneapolis et San Fransisco.

Les régimes de retraite et de santé ont été développés grâce aux luttes de masse de la classe ouvrière qui se sont poursuivies durant les années 1940, 50 et 60. L'assurance maladie pour les gens à faible revenu et les personnes âgées (respectivement Medicaid et Medicare) et les autres programmes sociaux des années 1960 étaient le résultat des luttes des travailleurs afro-américains pour les droits civiques et les grèves militantes qui paralysaient des industries entières.

De la même façon, les travailleurs à travers les États-Unis et internationalement doivent aujourd'hui prendre position à Detroit, une ville qui incarne la riche histoire de lutte militante et de traditions socialistes de la classe ouvrière américaine. Mais les travailleurs doivent disposer du savoir nécessaire pour révéler les forces politiques et patronales qui se cachent derrière la faillite de Detroit et des moyens pour lutter.

C'est pour cette raison que le Socialist Equality Party organise une Enquête des travailleurs (Workers Inquiry) sur l'attaque contre le Musée d'art et la faillite de Detroit, le 15 février 2014 à l'Université Wayne State (site en anglais: detroitinquiry.org).

La décision sur la faillite rendue par les tribunaux n'a aucune légitimité. Tout le processus a été une vaste conspiration réunissant les représentants des républicains et des démocrates, y compris l'administration Obama.

Dès mars 2011, le plan consistant à aller devant les tribunaux fédéraux pour placer des municipalités sous la faillite et ainsi contourner les lois d'État qui protègent les régimes de retraite était rédigé par les avocats de la firme Jones Day. Un de leurs partenaires, Kevyn Orr, fut nommé administrateur d'urgence, c'est-à-dire un dictateur de la finance et représentant des banques.

Dans le résumé de sa décision, le juge a totalement ignoré les faits qui lui avaient été présentés selon lesquels Orr avait falsifié la position financière de Detroit et gonflé la valeur réelle des régimes de retraite afin de créer un prétexte pour le processus de faillite.

Rhodes n'a pas tenu compte de la Constitution de l'État, qui dit très clairement que les pensions «ne doivent pas être altérées ou diminuées», pour ainsi ouvrir la porte à l'attaque sur les pensions, à Detroit et ailleurs.

Après avoir admis qu'Orr n’avait pas négocié «de bonne foi» avec les retraités, les syndicats et les autres créanciers, Rhodes a néanmoins conclu que le processus de faillite avait été mené de «bonne foi» et qu'Orr n’avait aucun «but caché».

Finalement, Rhodes a implicitement reconnu le caractère antidémocratique de la loi de l'administrateur spécial en admettant que le corps législatif de l'État avait adopté à toute vapeur essentiellement la même loi qui, seulement quelques semaines auparavant, avait été rejetée par vote référendaire.

Tout cela a été simplement balayé du revers de la main. Lorsque les intérêts de la classe dirigeante sont en jeu, la légalité et la constitutionnalité ne veulent rien dire. Le gouvernement et les tribunaux vont approuver quelque crime que soit tant que les banques et les riches puissent tout empocher pendant que les travailleurs ne reçoivent rien.

Nulle part est-ce que Rhodes suggère que les entreprises et les banques qui ont saigné à blanc la ville doivent payer pour la crise qu’ils ont créée. Les fabricants automobiles de Detroit ont empoché plus de 12 milliards de dollars en profits l’an dernier et sont en voie de dépasser cette marque en 2013, en grande partie en raison des coupes dans les salaires et les avantages sociaux imposées aux travailleurs sous le programme de sauvetage de l’industrie automobile d’Obama en 2009.

Le juge a reconnu que les coupes dans les pensions aggraveraient la souffrance, mais a soutenu que «la ville ne peut pas uniquement imprimer de l’argent». Mais c’est exactement ce que fait la Réserve fédérale, en imprimant 85 milliards de dollars chaque mois pour aider à alimenter l’hystérie des marchés boursiers. Pendant que le gouvernement Obama refuse de renflouer les États et les villes qui, comme Detroit, ont été dévastées par le krach financier, il s’assure que les criminels responsables de la crise s’en sortent mieux que jamais.

La première étape pour garantir les besoins de la population de Detroit est d’annuler les dettes aux banques et à ceux qui détiennent la majeure partie des obligations de la ville et de saisir les profits des compagnies automobiles et des escrocs de Wall Street. Les sociétés et les banques doivent être nationalisées sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière afin que la richesse produite par les travailleurs puisse être utilisée pour répondre aux besoins sociaux urgents.

Le Socialist Equality Party exhorte les travailleurs et les jeunes à participer, le 15 février, à l’Enquête des travailleurs sur l’attaque contre le Musée d'art et la faillite de Détroit. Les travailleurs municipaux, les travailleurs automobiles, les employés de service, les retraités, les chômeurs, les professionnels et les étudiants à travers la région métropolitaine sont invités à venir témoigner sur le véritable état de la ville et les conséquences des coupes sociales mises en oeuvre.

Nous discuterons des véritables causes de la crise à Detroit, les leçons historiques des luttes de la classe ouvrière, la relation entre le Musée d'art et la classe ouvrière, les intérêts sociaux et politiques derrière la faillite et d’autres questions vitales. L’enquête va contrer les mensonges des médias et de l’establishment politique.

Nous demandons aux lecteurs du World Socialist Web Site à travers le monde d’appuyer l’enquête et d’envoyer des messages de soutien. De cette manière, l’Enquête des travailleurs jettera les bases pour une contre-offensive de la classe ouvrière, non seulement à Detroit, mais à travers le pays et internationalement.

(Article original paru le 5 décembre 2013)

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