Le ministre des Affaires étrangères du Canada demande à Edward Snowden de se livrer aux autorités américaines

Le ministre des Affaires étrangères du Canada a demandé au lanceur d’alerte de l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA), Edward Snowden, de se livrer aux autorités américaines et de faire face à la justice, une action qui, comme Baird le sait très bien, pourrait mener à l’exécution de Snowden pour trahison.

Baird a dénoncé avec colère l’homme qui a exposé les opérations illégales d’espionnage mondial de la NSA et qui a divulgué des documents démontrant à quel point l’agence de renseignement du Canada, le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada ou CSTC, fonctionne comme partenaire et division de la NSA.

«Je suis probablement en accord avec l’administration Obama sur cette question», a dit Baird à l’agence de nouvelles Presse canadienne lors d’une entrevue de fin d’année. «[Snowden] a causé beaucoup de tort à la sécurité nationale du monde libre.»

Au lieu de demander l’asile au Brésil, a poursuivi le ministre conservateur, «Snowden devrait retourner aux États-Unis et faire face aux conséquences de ses actes».

L’hostilité de Baird envers Snowden était prévisible. Les divulgations de Snowden ont révélé aux populations à travers le monde comment, au nom de la fausse «guerre au terrorisme», les États-Unis et leurs partenaires du «Five Eyes» (le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ont établi une surveillance généralisée des communications électroniques mondiales (un espionnage d’une ampleur dont les États policiers du siècle dernier n’auraient même pas osé rêver).

Cela dit, les commentaires de Baird sont révélateurs. Ils illustrent l’hostilité du gouvernement conservateur face aux droits démocratiques ainsi que son esprit autoritaire. L’administration Obama a autorisé la NSA à violer systématiquement les droits constitutionnels des Américains. En fait, deux jours avant que Baird s’en prenne à Snowden, un juge de la cour fédérale américaine a été forcé d’admettre que la collecte systématique de métadonnées des appels téléphoniques d’Américains par la NSA, un programme exposé par Snowden, représente une violation massive, «quasi-orwellienne», du droit à la vie privé protégé par la constitution.

Toutefois, c’est à Snowden, le lanceur d’alerte responsable d’avoir révélé au public cette criminalité d’État, que Baird demande de «faire face aux conséquences de ses actions», c’est-à-dire une poursuite pénale, l’emprisonnement et une possible peine de mort.

Baird a ensuite ridiculisé une déclaration de la section brésilienne d’Amnistie internationale qui suggère que Snowden devrait être reconnu comme réfugié politique. La déclaration souligne le service que Snowden a rendu aux peuples du monde en exposant «le caractère extrêmement envahissant» de la surveillance américaine ainsi que le fait que «les déclarations des États-Unis qui qualifient Snowden de “traître” représentent un préjudice à son droit de demander l’asile et à son droit à un procès juste et équitable ».

«Les États-Unis, a rétorqué Baird, ont un système de justice libre et équitable.»

Le gouvernement conservateur du Canada, il convient de le rappeler, a appuyé avec enthousiasme l’adhésion des États-Unis aux principes judiciaires démocratiques dans le cas d'Omar Khadr, l’enfant-soldat d’origine canadienne que les États-Unis ont torturé et illégalement détenu dans la prison de Guantanamo Bay pendant une décennie, pour qu’ensuite un tribunal militaire fantoche le trouve coupable de crimes de guerre.

L’attaque de Baird contre Snowden fait partie d’une campagne de plus en plus véhémente montée du gouvernement canadien et de sections des médias pour discréditer et diffamer le lanceur d’alerte de la NSA puis de contrer l’impact de ses révélations.

Plus tôt ce mois-ci, le commissaire du CSTC Jean-Pierre Plouffe, le responsable du gouvernement officiellement chargé d’assurer que l’agence n’espionne pas les Canadiens, a déploré les révélations de Snowden, affirmant qu’elles mènent à beaucoup de «fausses informations». Lorsque Plouffe a témoigné devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et la défense, les sénateurs voulaient savoir quelles mesures étaient en place afin d’empêcher un «cauchemar» à la Snowden au Canada. Plouffe a dû dire que cette question ne faisait pas partie de son mandat. Konrad Yakabuski du Globe and Mail a écrit une chronique en décembre déplorant «l’hystérie découlant» des fuites de Snowden et dénonçant ce dernier parce qu'il tente, en se réfugiant en Russie, d'éviter de se faire capturer par les États-Unis (qui avaient entre autres fait atterrir de force l'avion du président bolivien).

Ces dénonciations sont motivées par le fait l’élite dirigeante déteste et craint que soit levé le voile du secret qui enveloppe son appareil de «sécurité nationale» et qui vise à obscurcir son réel fonctionnement, soit un instrument servant à défendre les intérêts prédateurs de l’élite capitaliste contre ses rivaux étrangers et contre l’opposition politique, surtout celle de la classe ouvrière.

Snowden a montré que la NSA espionne tout le monde: les gouvernements étrangers et leurs dirigeants, y compris de fidèles alliés comme la chancelière allemande Angela Merkel, des mouvements politiques et des entreprises étrangères, des organismes d'aide des Nations unies et le peuple américain. Comme Snowden l’a mentionné dans une lettre ouverte qu’il a envoyée au gouvernement brésilien la semaine dernière, la NSA opère de «vastes programmes d'espionnage de masse qui surveillent et enregistrent de façon permanente les moindres faits et gestes de populations entières. Ces programmes n'ont jamais été conçus en réaction au terrorisme: ils concernent l'espionnage économique, le contrôle social, et la manipulation diplomatique. C'est une question de pouvoir.»

Les documents divulgués par Snowden montrent que le CSTC:

*A espionné le ministère brésilien des Mines (le Brésil est le site d’importants investissements canadiens à l’étranger et un concurrent majeur des industries pétrolière et minière canadiennes);

*A aidé la NSA à espionner les dirigeants et les délégations participants à une rencontre du G20 à Londres en 2009 et lors du sommet du G20 subséquent à Toronto en juin 2010

*A mis en œuvre des opérations d’espionnage pour la NSA dans 20 pays;

*A aidé la NSA à prendre en charge une initiative de l’Organisation internationale pour la standardisation visant à standardiser l'encodage, permettant ainsi à l’agence américaine de créer une «porte dérobée» afin de pouvoir secrètement décrypter les données que des millions de gens jugeaient sécuritaires.

Selon Glenn Greenwald, le journaliste qui a le plus étroitement travaillé avec Snowden, plusieurs autres révélations concernant le partenariat entre le CSTC et la NSA restent à venir. «Il y a encore de nombreux documents à propos de l’espionnage de citoyens ordinaires, de gouvernements alliés et du monde par le Canada et sa coopération avec le gouvernement américain», a dit Greenwald à la CBC en octobre. «Je crois, a poursuivi Greenwald, que la plupart des citoyens canadiens trouveront cela plutôt surprenant, sinon choquant, parce que tout cela est effectué en secret et les Canadiens ne sont pas au courant.»

En fait, avant juin dernier, lorsque furent publiées les premières révélations de Snowden et quand le Globe and Mail rapportait que le CSTC espionnait systématiquement les métadonnées des communications électroniques des Canadiens (les appels téléphoniques, les courriels, les messages texte, l’utilisation internet, etc.) peu de Canadiens avaient déjà entendu parler du CSTC; encore moins qu’il faisait partie des partenaires les plus proches de la NSA.

Le terme partenaire, faut-il le souligner, ne rend guère justice à la relation de travail intime entre la NSA et le CSTC. Ces agences sont en communication permanente, partagent des programmes, s’échangent du personnel et le CSTC agit fréquemment au nom de la NSA. De plus, le CSTC, selon une note divulguée par Snowden, souhaite vivement développer ce partenariat.

Dans ce contexte, la seule conclusion politique logique est que tout ou presque tout ce que la NSA fait, le CSTC le fait aussi, si ce n'est qu'à plus petite échelle.

Il a déjà été établi que le CSTC collecte les métadonnées des communications des Canadiens depuis 2004. De plus, sous la loi antiterroriste de 2001 du gouvernement libéral de Jean Chrétien, le mandat du CSTC a été élargi, autorisant l’agence à espionner les communications des Canadiens sous le prétexte de lutter contre une prétendue menace étrangère.

Le gouvernement conservateur a réagi à la divulgation des activités du CSTC par l’obstruction et le mensonge éhonté.

Ainsi, les ministres conservateurs ont affirmé à mainte reprises qu’il est légalement interdit au CSTC d’espionner les Canadiens.

Cela est un triple mensonge. Comme il a été mentionné plus haut, le CSTC a reçu en 2001 l’autorisation d’espionner les Canadiens s’il s’agissait d’une enquête sur une menace étrangère. Deuxièmement, il a le mandat d’aider la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité lors d’enquêtes sur les menaces à la «sécurité nationale» (des menaces que ces agences définissent depuis longtemps comme toute forme de dissidence de gauche ou anti-patronale. Troisièmement, depuis près d’une décennie, le CSTC recueille les métadonnées des communications des Canadiens, de l’information qui peut être facilement utilisée afin de développer des profils détaillés d’individus et de groupes en révélant leurs lieux de travail, les informations qu'ils consultent, leurs amis et leurs associés.

En maintenant que la collecte de métadonnées ne constitue pas une violation aux droits fondamentaux des Canadiens, le gouvernement se base sur une autorisation ministérielle secrète n’ayant jamais été vue que par une petite clique de représentants du gouvernement.

En s’arrogeant le droit d’espionner les Canadiens et de camoufler les activités du CSTC (surtout son partenariat réactionnaire avec la NSA) le gouvernement conservateur de Stephen Harper bénéficie de médias et d’une opposition dociles. L’opposition officielle, le Nouveau Parti démocratique, le parti des syndicats, a résolument refusé de soulever la question des activités antidémocratiques du CSTC, se limitant à une poignée de questions au cours des sept derniers mois au parlement. Ce parti, qui tente de convaincre l’élite canadienne qu’elle peut lui faire confiance pour servir de parti de gauche du gouvernement et pour donner un vernis «progressiste» à l’austérité et la guerre, est, il faut le noter, un partisan de l’administration du Parti démocrate d’Obama: un gouvernement qui a sauvagement défendu les intérêts de l’aristocratie financière américaine, y compris le développement des mesures d’État policier de son prédécesseur Georges W. Bush.

(Article original paru le 23 décembre 2013)

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