Les questions se multiplient sur les rapports des poseurs de bombes de Boston avec les agences américaines de renseignement

Les informations en train de sortir sur le contexte de l’attentat du marathon de Boston soulèvent de nombreuses questions sur les rapports entre les poseurs de bombe présumés, Tamerlan et Dzhokhar Tsarnaev et les services de renseignement américains.

Il est à présent avéré que le plus âgé des deux frères, Tamerlan, tué au cours d’une fusillade avec la police aux premières heures du 19 avril était bien connu tant du FBI que de la CIA.

Si l’on tient compte de ce qu’on a appris jusque là on obtient l’image suivante:

Après avoir nié toute connaissance préalable de Tsarnaev, le FBI a reconnu avoir obtenu en mars 2011 une demande d’enquête sur lui de la part de la Russie ; celle-ci s’inquiétait du fait qu’il puisse être lié à des organisations terroristes opérant en Tchétchénie et dans la région du Caucase. On l’ajouta à la banque de donnée du Treasury Enforcement and Communication System afin de surveiller ses voyages par avion passés et futurs. Le FBI affirme qu’il n’a trouvé aucune information pertinente sur Tamerlan et en informa la Russie.

Mais les choses n’en sont pas restées là. Six mois plus tard, à la fin du mois de septembre 2011, le gouvernement russe, de toute évidence insatisfait de la réaction du FBI, a contacté la CIA avec une demande d’enquête similaire.

La CIA demanda qu’on place le nom de Tamerlan sur la banque de données du Terrorist Identities Datamart Environment (TIDE). TIDE est la banque centrale de données du gouvernement américain sur les « terroristes internationaux » présumés, à partir de laquelle sont compilées les banques de données des autres services de renseignement américains, y compris la liste d’ « interdiction de vol » du FBI.

Selon un responsable américain cité par ABC News, la CIA a aussi « partagé l’information avec les départements fédéraux et agences appropriées, spécifiant que Tsarnaev pouvait les intéresser ».

En janvier 2012, moins de quatre mois plus tard, Tsarnaev put prendre l’avion et se rendre dans le sud de la Russie. Selon la secrétaire de l’US Homeland Security Janet Napolitano, cela signifiait que la base de données TIDE fut alertée, informant la US Joint Terrorism Task Force, qui comprend le FBI, le service secret et d’autres agences, de son déplacement.

Et pourtant Tsarnaev put retourner sans problème aux Etats-Unis en 2012.

On a dit jusque là peu de choses sur ce que Tsarnaev avait fait pendant son voyage. Cependant, selon un reportage sur NBC News « Une source policière officielle de Makhachkala au Daguestan [a dit] que les services russes de sécurité intérieure avaient contacté le FBI en novembre dernier [2012] et posé quelques questions sur Tamerlan et lui avait remis un dossier concernant ce dernier.

« Durant la surveillance de routine d’un individu dont l’engagement dans le mouvement clandestin islamiste militant était connu, la police a vu Tamerlan rencontrer ce dernier dans une mosquée salafiste à Makhachkala, a dit ce responsable de la police. Selon ce même responsable, il s’agissait là d’une rencontre sur un total de six rencontres avec ce militant à la même mosquée et dont les responsables de la surveillance ont été les témoins.

« Le contact militant disparu plus tard, dit encore le responsable, mais Tsarnaev également, avant que les enquêteurs aient une chance de lui parler. Le FBI n’a jamais répondu, selon le responsable de la police du Daguestan. »

En d’autres termes, le FBI avait été averti à propos de Tsarnaev tant avant qu’après son voyage en Russie, dans la première moitié de 2012. L’avertissement le plus récent fut reçu six mois seulement avant l’attentat de Boston.

Ce compte-rendu est confirmé par des déclarations du sénateur Richard Burr qui est membre de la Commission de renseignement du Sénat américain. Après des auditions secrètes tenues mardi 23 avril, Burr a dit aux journalistes qu’il y avait eu de « multiples contacts » entre les Etats-Unis et la Russie à propos de Tsarnaev, y compris « au moins une depuis octobre 2011 – c’est-à-dire après la requête soumise à la CIA en septembre 2011.

Le gouvernement et les medias se démènent afin d’éviter que l’importance de ces révélations ne soit exposée en public. Les auditions menées par le Congrès le sont à huis clos, hors de la vue du peuple américain.

Le nouveau discours qu’on est en train de développer pour expliquer les faits extraordinaires qui ont émergé n’est tout simplement pas crédible. Selon des responsables gouvernementaux, « on a laissé échappé des ballons » et on n’a pas « fait les liens nécessaires ». Si les liens nécessaires n’ont pas été faits, qui ne les a pas faits ?

Comme à la suite des attentats du 11 septembre, on s’efforce de faire en sorte qu’absolument personne ne soit tenu responsable. Il y a une raison à cela. Si quelqu’un était tenu responsable, il chercherait à se défendre et cela conduirait à d’autres questions que les responsables tiennent à éviter.

Le gouvernement semble particulièrement vouloir tirer la conclusion que les deux frères Tsarnaev ont agi entièrement seuls, une affirmation qui est démentie par les faits révélés sur le compte de Tamerlan jusqu’ici. L’aspect pratique de cette affirmation est qu’elle détourne l’attention d’un examen des contacts de ces deux individus, y compris leurs rapports avec les agences américaines de renseignement.

Il y a certain nombre d’explications possibles pour les actes des frères Tsarnaev. L’une d’entre elles est qu’ils sont motivés par l’hostilité à la politique extérieure des Etats-Unis. Certaines informations mentionnent le fait que le plus jeune des frères, Dzhokhar a dit aux enquêteurs qu’il était fortement opposé aux guerres en Afghanistan et en Irak.

Une autre possibilité, qui n’exclut pas la première, est qu’on faisait des deux frères et particulièrement de Tamerlan des « atouts » ou de potentiels « atouts » pour les machinations de l’impérialisme américain en Tchétchénie et au Daguestan voisin. Cette région est vitale aux intérêts géostratégiques de la Russie parce qu’elle est cruciale pour son accès à une Mer Caspienne riche en énergie.

Les agences américaines de renseignement entretiennent de longue date des relations sordides avec les groupes islamistes intégristes opérant en Tchétchénie. Les Etats-Unis ont aussi des liens étroits avec la Géorgie voisine et en 2008, ils ont soutenu celle-ci dans sa guerre avec la Russie à propos de la province sécessionniste d’Ossétie du sud.

Selon le journal russe Izvestia, Tsarnaev a, durant son séjour dans le Caucase, participé à des séminaires organisés par le Fonds pour le Caucase, qui est lié à la Fondation Jamestown, soutenue par les Etats-Unis.

La Fondation Jamestown, qui soutient le séparatisme tchétchène, a été établie avec l’assistance de l’ancien directeur de la CIA William Casey et comprend dans son directoire une groupe de membres de haut rang, tant démocrates que républicains, de l’establishment militaire, politique et du renseignement.

Ses directeurs comprennent le Général Michael Hayden, ancien directeur de la CIA et ancien chef de la National Security Agency ; Bruce Riedel, collaborateur émérite du Brookings Institute ; Michelle Van Cleave, ancienne directrice du National Counterintelligence sous George W. Bush ; Matthew Bryza, ancien ambassadeur américain en Azerbaïdjan sous Obama et conseiller pour les questions d’énergie en Eurasie, dont la Mer Caspienne, sous Bush.

La Fondation Jamestown a des liens étroits avec le Comité américain pour la Paix dans le Caucase, dirigé par l’ancien Conseiller à la Sécurité nationale du président Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski. Brzezinski a joué un rôle important dans la mise sur pied de l’alliance entre les Etats-Unis et les islamistes intégristes en Afghanistan à la fin des années 1970 et qui faisait partie de la guerre par procuration menée par les Etats-Unis contre le régime afghan soutenu par l’Union soviétique. C’est de cette guerre qu’est sortie Al Qaida.

Si Tsarnaev était considéré comme un atout potentiel dans son conflit géopolitique avec la Russie, cela expliquerait également les informations données par les parents des deux frères qui ont dit que le FBI avait des contacts réguliers avec Tamerlan et avait visité la famille à de nombreuses reprises. Selon sa mère, Zubeidat Tsarnaev, Tamerlan a été « contrôlé par le FBI pendant trois à cinq ans. »

Le portrait de Tsarnaev et de ses rapports avec les Etats-Unis qui commence à apparaître a des ressemblances avec celui de Zacarias Moussaoui qui avait été arrêté avant les attentats du 11 septembre 2001 et fut ultérieurement accusé de complicité dans le complot par le gouvernement américain.

A la fin des années 1990, Moussaoui a combattu en Tchétchénie avec des groupes islamistes intégristes et il a aidé à recruter d’autres personnes pour aller y combattre. Avant son arrestation, en août 2001, il avait suivi des cours d’entraînement au vol à la même école que Mohamed Atta et Marwan al-Shehhi qui pilotaient les avions ayant percuté le World Trade Center.

Après son arrestation et avant le 11 septembre, tant les agences de renseignement britanniques que françaises avaient fourni des renseignements sur les rapports de Moussaoui avec les militants Tchétchènes liés à Osama bin Laden. Mais le FBI a à plusieurs reprises rejeté des demandes de la part de ses responsables locaux de fouiller l’ordinateur de Moussaoui et son logement.

Derrière la soi-disant “guerre contre la terreur” le gouvernement américain continue de maintenir des liens avec les groupes intégristes islamistes à travers le Moyen-Orient et l’Asie Centrale, dans la mesure où ces organisations sont considérées être des instruments utiles à l’avancement des intérêts géopolitiques américains. Les Etats-Unis ont récemment utilisé les services de telles organisations en Libye, dans le cadre de la campagne pour renverser Mouammar Kadhafi, et présentement dans la guerre civile soutenue par les USA en Syrie.

Une fois de plus, les actions de l’impérialisme américain à l’extérieur semblent avoir eu des conséquences tragiques pour le peuple américain à l’intérieur.

(Article original publié le 26 avril)

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