L’alerte terroriste qui a été émise aux États-Unis le week-end dernier est la plus récente de toute une série d’événements similaires qui ont pris place depuis les attaques du 11-Septembre et qui suivent un modèle bien connu.
De hauts responsables de l’exécutif ont émis des alertes vagues et menaçantes à la fois. Des dirigeants du Congrès, après avoir été informés en privé par les services de renseignement, ont répété ces alertes. Les médias amplifient ces avertissements sans poser de questions, tentant de provoquer l’inquiétude dans la population. Et personne ne remet en question le bien-fondé des assertions qui motivent toute cette campagne de peur.
Plusieurs questions sont soulevées par l’alerte mondiale sur les déplacements et la fermeture des ambassades américaines à travers le Moyen-Orient annoncées vendredi dernier.
D’abord, ces mesures surviennent à un moment bien particulier. Elles sont adoptées après presque deux mois de révélations quasi ininterrompues sur le programme d’espionnage massif de la population des États-Unis par son gouvernement, y compris la collecte des métadonnées et du contenu des conversations téléphoniques et des courriels de pratiquement chaque personne au pays.
L’administration Obama a été forcée de se mettre sur la défensive après que l’ancien contractuel de la National Security Agency (NSA), Edward Snowden, aidé du chroniqueur Glenn Greenwald du Guardian, a rendu public le programme d’espionnage.
Deux jours seulement avant que l’alerte ne soit lancée par le département d’État, la Maison-Blanche essuyait un revers auprès de la Russie qui avait accordé un asile temporaire d’un an à Snowden. Cela a permis à ce dernier de quitter la zone de transit de l’aéroport Sheremetyevo de Moscou et de se trouver une résidence en Russie, évitant ainsi la menace de se voir déporter immédiatement dans une cellule ou une salle de torture aux États-Unis.
Au même moment, les sondages continuent de montrer que, malgré la campagne de diffamation menée par l’administration Obama et les dirigeants des partis démocrate et républicain, la majorité de la population américaine voit Snowden, non pas comme un espion ou un traître, mais bien comme un dénonciateur qui a révélé par principe les crimes du gouvernement des États-Unis. Une même majorité de la population conçoit le programme massif de surveillance de la NSA comme une menace aux droits démocratiques.
Les dirigeants du Congrès ont pris d’assaut les talkshows télévisés dimanche matin pour affirmer que la dernière alerte terroriste démontrait la valeur du programme de surveillance de la NSA. Le sénateur républicain Lyndsey Graham a dit sur les ondes de CNN que «Le programme de la NSA prouve une fois de plus qu’il est utile… ceux qui veulent l’attaquer vont compromettre notre sécurité et placer notre nation en danger.»
Saxby Chambliss, le chef républicain siégeant sur le Senate Intelligence Committee, a tenté d’exploiter les attaques du 11-Septembre en affirmant à l’émission Meet the Press qu’«il y a beaucoup de communications… sur des plans en cours, et ça rappelle vraiment ce que l’on a vu avant le 11-Septembre.» Il a ajouté, faisant référence à la surveillance de la NSA, «Si nous n’avions pas ces programmes, nous ne pourrions tout simplement pas savoir ce que se disent les méchants.»
Les médias américains ont joué le même rôle répréhensible en rapportant comme des faits les affirmations du gouvernement et en créant un climat d’anxiété. Personne n’a même soulevé le fait que les alertes de ce genre s’étaient finalement avérées sans fondement par le passé et que le gouvernement avait menti à plusieurs reprises à la population – qu’il s’agisse des mensonges pour justifier l’invasion de l’Irak ou ceux des responsables de l’administration Obama sur l’espionnage effectué par la NSA.
Dans sa couverture, le New York Times a fait référence aux véritables motifs politiques derrière les avertissements alarmistes du gouvernement. «Certains analystes et responsables du Congrès, est-il écrit, ont suggéré vendredi que décréter l’alerte terroriste maintenant était une bonne façon de faire oublier le tollé entourant les programmes de collecte de données de la NSA, et que ce serait encore mieux si l’on montrait que l’interception de communications aurait permis de déjouer un complot potentiel.»
Les responsables de l’administration Obama n’ont offert aucun élément concret pour démontrer l’existence d’une nouvelle menace terroriste imminente et ils ont admis qu’aucune cible d’attaque précise n’avait été établie. Le communiqué publié vendredi par le département d’État ne faisait qu’affirmer que des terroristes «pourraient» attaquer des zones touristiques et des métros, des trains, des avions et des bateaux: une description, bien que volontairement effrayante, qui est tellement vague qu’elle est dénuée de sens.
Cela ne veut pas dire que des attaques terroristes contre des bâtiments du gouvernement américain ou même contre des citoyens américains à l’étranger soient inconcevables. La politique étrangère des États-Unis, qui a constamment recours aux menaces ou à l’usage de violence militaire contre ceux qu’elle qualifie d’ennemis – sans mentionner les assassinats fréquents par drones dans une demi-douzaine de pays – et qui soutient les despotes du pétrole au Moyen-Orient et la répression des Palestiniens par Israël, incite continuellement des représailles, qui peuvent prendre la forme d’actes terroristes.
De plus, des sections de l’appareil d’État et de renseignement des États-Unis verraient de telles attaques comme une opportunité pour étendre leurs opérations au pays et à l’étranger et accumuler des ressources encore plus importantes. Et le gouvernement américain dispose de moyens amplement suffisants pour orchestrer une telle provocation.
C’est un fait reconnu, mais qui est peu discuté dans les médias, que pratiquement toutes les attaques ou tentatives d’attaques terroristes aux États-Unis, depuis le 11 septembre 2001 à l’attentat du marathon de Boston en avril dernier, ont été perpétrées par des individus qui agissaient de concert avec des agents du gouvernement américain ou qui étaient sous la surveillance des policiers et des services du renseignement.
Tandis que la Maison-Blanche et les médias pointent Al-Qaïda du doigt au Yémen, aucune référence n’a été faite durant la tempête médiatique à l’alliance tacite entre les États-Unis et Al-Qaïda dans la guerre civile syrienne ou aux liens développés entre les États-Unis et des groupes radicaux islamiques lors du renversement et du meurtre de Mouammar Kadhafi en Libye.
Au cours des derniers mois, il y a eu fréquemment dans les médias américains, et surtout dans la foulée des révélations entourant la NSA, des commentaires affirmant qu’une nouvelle attaque terroriste d’envergure pourrait provoquer un changement soudain dans l’opinion publique sur le pouvoir grandissant de l’armée et du service de renseignement. Ainsi, les États-Unis seraient à «une attaque terroriste de la loi martiale».
Le modèle de ces développements, et du renforcement des forces militaires et policières aux États-Unis, est l’Allemagne hitlérienne. Ce fut l’incendie du Reichstag de 1933 – une supposée attaque terroriste perpétrée par un travailleur communiste sur le parlement – qui fournit le prétexte à Hitler pour une prise dictatoriale du pouvoir. Il fut plus tard démontré que l’attaque avait été organisée et dirigée par la Gestapo nazie.
Il y a, évidemment, d’importantes différences entre les États-Unis de 2013 et l’Allemagne de 1933. Mais les antagonismes sociaux extrêmes qui ont mené le capitalisme allemand à avoir recours aux nazis pour réprimer la classe ouvrière se développent aux États-Unis aujourd’hui. Nulle part le gouffre social séparant l’élite dirigeante et la vaste majorité des travailleurs n’est-il aussi prononcé qu’aux États-Unis.
De plus, l’appareil de sécurité nationale joue un rôle de plus en plus indépendant et marqué dans la vie américaine. Les opérations de l’armée, de la police et du renseignement comptent en effet pour près de 90 pour cent de la main-d’oeuvre du gouvernement fédéral, soit près de 3 millions de personnes. Ce nombre grimpe à 5,5 millions si les réservistes de l’armée et les contractuels du militaire, du renseignement et de la sécurité sont pris en compte.
C’est cette combinaison de croissance des inégalités sociales et d’intensification du militarisme et de la répression qui pose un si grave danger aux droits démocratiques de la population américaine. L’administration Obama, loin de représenter une rupture avec son prédécesseur, a développé les pouvoirs de répression de l’administration Bush à des niveaux sans précédent.
Durant plus d’une décennie, la fameuse guerre contre le terrorisme a été utilisée comme prétexte universel pour ériger l’infrastructure d’un État policier : le Patriot Act, le département de la Sécurité intérieure, le Northern Command du Pentagone, le camp de détention de Guantanamo Bay, les commissions militaires, la détention illimitée, les assassinats extralégaux par drone et l’espionnage systématique de la population.
Ces préparatifs se butent maintenant à une résistance de plus en plus grande de la part des travailleurs aux États-Unis et internationalement. Cela s’est exprimé à travers le soutien de la population pour Bradley Manning, Julian Assange et Edward Snowden pour avoir révélé les crimes du gouvernement des États-Unis.
Les travailleurs, les jeunes et les étudiants des États-Unis et de par le monde ont l’obligation de se porter à la défense de ces êtres courageux. La lutte pour la liberté de ceux qui sont pourchassés par l’impérialisme américain pour avoir dévoilé ses crimes doit devenir le point de départ d’une offensive visant à défendre les droits démocratiques. Ce mouvement doit être développé consciemment en tant que partie d’un mouvement politique de la classe ouvrière américaine et internationale contre le capitalisme : la source de la guerre, de l’inégalité sociale et de la dictature.
(Article original paru le 5 août 2013)