Le rapport élaboré par la commission d’enquête parlementaire sur le réseau d’extrême-droite NSU (Nationalsozialistischer Untergrund) qui couvre 1.409 pages et a été présenté la semaine passée, contient des centaines d’indices prouvant que ce réseau a été mis en place avec l’aide directe des services secrets et d’autres agences de sécurité. Entre 2000 et 2007, les trois membres de ce groupe ont commis au moins neuf meurtres racistes et tué une femme officier de police.
Entre-temps, la preuve a été faite qu’au moins 25 agents des services secrets ou de la police figuraient parmi les 129 personnes connues pour faire partie de l’entourage du trio du NSU. La première arme du crime et la première maison sécurisée avaient été fournies au NSU par un agent secret infiltré. Certains de ces cas sont décrits en détail dans le rapport.
De plus, le rapport montre comment les différentes agences de renseignement ont systématiquement empêché d’exposer au grand jour le NSU. Trois jours après que le NSU ne vole en éclats, un chef de service du renseignement a détruit des dossiers concernant des agents infiltrés dans l’organisation d’extrême-droite de Thuringe « Thüringer Heimatschutz » dont est sorti le NSU. Il a été prouvé que ceci avait eu lieu en dehors des canaux officiels, ce qui ne peut être considéré que comme une dissimulation de crimes.
Pourtant, la commission d’enquête parlementaire ne s’est pas penchée sur ces questions, elle a cherché à les dissimuler. La commission n’a pas même établi la véritable identité de la personne responsable qui s’était présentée à elle sous le nom de code de « Lothar Lingen ». A maintes reprises, les membres de la commission se sont déclarés satisfaits des mensonges, des tergiversations et des excuses que leur ont présentés les différentes agences de renseignement et ne publia que ce qui était déjà connu.
La semaine dernière encore, le ministre allemand de l’Intérieur Hans-Peter Friedrich (Union chrétienne-sociale, CSU), qui porte la responsabilité générale des services de renseignement, a insisté pour que des suppressions et des modifications soient faites à 118 pages du rapport. Même des informations qui étaient parues il y a longtemps dans la presse ont dû être en partie enlevées. Il était hors de question qu’il existe un contrôle parlementaire de l’exécutif, un principe démocratique fondamental.
Une censure pratiquée comme en Prusse sous le roi Frédéric n’est pas nécessaire. Tous les partis traditionnels, de la CSU au parti Die Linke (La Gauche), cherchent à blanchir les agences de renseignement et à masquer le rôle que celles-ci ont joué dans la mise en place des milieux d’extrême droite. Le rapport qui a été rédigé conjointement par les représentants de tous les partis parlementaires, tente de présenter systématiquement le soutien accordé par les services secrets aux terroristes d’extrême-droite comme le résultat de négligences et d’erreurs.
Le document précise qu’il y a eu « de graves manquements aux règles et des erreurs, ainsi qu’un manque d’organisation. » « Mais nous n’avons trouvé aucun élément selon quoi les autorités savaient qui étaient les auteurs et les a protégé, » a remarqué le président de la commission, Sebastian Edathy (SPD). Le membre SPD de la commission Eva Högl a ajouté : « Nous avons regardé à la loupe chaque miette [de preuve] mais nous n’avons pas trouvé le moindre élément de preuve. »
Dans un avis divergeant exprimé par Die Linke sur le rapport, ce parti insiste lui aussi sur le fait qu’il y avait eu « défaillance » des autorités. L’« erreur d’appréciation fatale des services secrets et de la police » avait barré la voie aux enquêteurs, écrit ce parti.
Eu égard aux faits connus, ces déclarations sont tout simplement inexactes. Le fait qu’elles demeurent incontestées par la politique officielle et les médias en général est toutefois le signe de la décrépitude des principes démocratiques.
L’ensemble de l’establishment politique est prêt à dissimuler et à faciliter les manœuvres et l’engagement, illégaux, de l’appareil de sécurité avec l’extrême-droite. C’est ce qui a surtout été révélé par les demandes formulées dans la conclusion du rapport. Mis à part les balivernes cyniques sur l’engagement civique et la sensibilité des autorités en ce qui concerne le racisme, l’on y trouve surtout des idées quant à la façon de renforcer l’appareil de sécurité.
Tous les partis proposent d’élargir les pouvoirs du Bureau du procureur général (« Bundesstaatsanwaltschaft »). De plus, les données recueillies par les agences du renseignement, par la police et les agences fédérales compétentes doivent être collectées et évaluées au niveau central. De cette façon, la séparation entre la police et les services secrets qui avait été introduite après la Seconde Guerre mondiale suite à l’expérience faite avec la Gestapo de Hitler, sera érodée encore davantage.
Les détails rendus publics sur le NSU montrent que les agences de renseignement qui ont toutes été mises en place après la guerre par de vieux nazis, entretiennent des liens étroits avec le terrorisme d’extrême-droite. Et cependant, elles doivent être renforcées, centralisées et dotées de pouvoirs exécutifs sur la police.
La commission d’enquête sur le NSU a abouti à une coalition pluripartite pour la défense des agences de renseignement et le renforcement systématique de l’appareil d’Etat. Les chrétiens-démocrates, le Parti libéral démocrate, les Verts et Die Linke veulent tous maintenir et étendre le complexe constitué par les agences de renseignement et les terroristes d’extrême-droite.
Cet Etat au sein de l’Etat rappelle la République de Weimar, durant les années 1920 à 1930, dans laquelle les groupes paramilitaires droitiers jouissaient d’une large immunité vis-à-vis des sanctions pénales et de liens très étroits avec l’appareil d’Etat qui, à son tour, leur apportait son soutien. Plus tard, ils ont constitué une base importante pour les bandes fascistes de Hitler.
De nos jours, la violence de droite est cultivée dans le but de réprimer le mécontentement populaire qui émane de l’extrême polarisation sociale. Des plans ont déjà été préparés pour de brutales attaques sociales quel que soit le parti qui formera le gouvernement après les élections législatives du 22 septembre. Ce qui a débuté en Grèce sera étendu à l’Allemagne. C’est pourquoi on donne à la police et aux agences de renseignement ce dont elles ont besoin pour réprimer toute opposition sociale.
Die Linke joue un rôle particulier au sein de cette vaste coalition. Au même titre que tous les autres partis, ce parti a soutenu le rapport et ses conclusions. Sa représentante au sein de la commission, Petra Pau, s’est enthousiasmée de la coopération « exemplaire » de tous les groupes parlementaires. Dans le même temps, Die Linke tente de masquer cette politique droitière.
Dans son opinion dissidente, le parti a lancé un appel sans conséquence à la dissolution des services secrets. Serait créé à leur place un « organisme de coordination pour documenter la misanthropie vis-à-vis de groupes », pour défendre la constitution et pour empêcher « des tendances subversives » sans recourir aux moyens employés par des services secrets. La demande de Die Linke correspond à une réorganisation des services secrets sous un autre nom. Parallèlement, le parti soutient, comme tous les autres partis, le renforcement de l’appareil de sécurité au moyen d’une collecte et une analyse centralisées des données en provenance des diverses administrations sécuritaires.
(Article original paru le 26 août 2013)