Le parti droitier de Silvio Berlusconi, Peuple de la liberté (PdL) menace de retirer ses ministres et députés du gouvernement italien, ce qui renverserait la coalition menée par Enrico Letta (Parti démocrate, PD). Cela ne fait que 100 jours que ce gouvernement est au pouvoir.
Cette menace du PdL vient en réaction à la condamnation de Silvo Berlusconi. Le 1er août, l'ancien premier ministre italien a été, pour la première fois, condamné par les tribunaux. Ce magnat des médias milliardaire a transféré plus de 350 millions de dollars dans des comptes en banque à l'étranger pour éviter de payer des impôts en 2002 et 2003, période où il achetait les droits de films pour son entreprise Mediaset.
Vendredi dernier, la Cour suprême de Rome a confirmé la condamnation à quatre ans de prison pour fraude fiscale mais a rejeté la deuxième partie de la condamnation du tribunal administratif de Milan, à savoir la révocation pour cinq ans de ses droits civiques. La perte de ses droits civiques aurait contraint Berlusconi à démissionner de tous les postes politiques qu'il détient.
Les médias ont salué cette condamnation comme étant un événement significatif et Beppe Grillo a même déclaré que « c'était comparable à la chute du Mur de Berlin. » En fait,Berlusconi ne mettra jamais les pieds dans une prison.
On lui a immédiatement retiré trois des quatre années de sa condamnation, en vertu d'une loi d'amnistie votée sous le gouvernement Prodi en 2006. Cet homme de 77 ans n'aura pas non plus à purger sa peine de prison d'un an, et ceci grâce à Anna Maria Cancellieri qui avait été nommée par l'ancien premier ministre Mario Monti au poste de ministre de l'Intérieur et qui est à présent ministre de la Justice de Letta..
Cancellieri est habituellement perçue comme une femme impitoyable, du moins envers les travailleurs qui protestent ou les immigrants sans papiers. Le 1er juillet, juste à temps pour la condamnation de Berlusconi, elle a introduit le « decreto Carceri » (loi sur la prison) pour raisons « humanitaires. » Ceci signifie que les peines légères infligées à des personnes de plus de 70 ans sont commuées en des peines pouvant inclure des travaux d'intérêt général ou une assignation à résidence.
Les deux autres procès en cours impliquant Berlusconi sont l'affaire appelée Rubygate, concernant ses relations sexuelles avec une jeune femme mineure et son abus de pouvoir, et enfin un autre procès pour corruption de parlementaires. Ses avocats ont fait une proposition demandant que les procès soient suspendus ou qu'il y ait accord sur une peine globale qui serait ensuite substantiellement réduite. La peine totale pourrait finalement ne pas dépasser quelques mois d'assignation à résidence, que Berlusconi pourra purger dans le confort de l'une de ses 20 villas de luxe.
Ses avocats considèrent comme un signe encourageant le fait que la Cour suprême ait choisi de ne pas prononcer de peine sur les trois affaires en même temps, ni de le condamner d'abord dans l'affaire du Rubygate. Dans l'affaire du Rubygate, le juge aurait eu à confirmer une peine de sept ans, dépassant ainsi de loin la limite supérieure du « decreto Carceri », la loi sur la prison. En conséquence, il n'y aurait eu quasiment aucune possibilité d'éviter au politicien corrompu une peine de prison. Finalement, les « robes rouges » du pouvoir judiciaire, que Berlusconi a diabolisées, lui ont évité la prison.
La question de savoir s'il devra quitter les divers postes politiques qu'il détient n'a pas encore été décidée non plus. La décision a été remise à plus tard et si elle est confirmée le sénat devra accepter sa démission, ce qui est loin d'être chose faite. Berlusconi ne serait alors plus éligible pendant cinq ans. Il a déjà annoncé que durant cette période, il a l'intention de reconstruire à partir de rien Forza Italia, son parti des années 1990.
La peine extrêmement légère qu'il se voit infliger est due au fait que Berlusconi est une composante cruciale du gouvernement. Son parti PdL forme une coalition avec le PD dans un gouvernement conduit par Enrico Letta du PD qui est le neveu de Gianni Letta, proche partisan de Berlusconi.
Bien que Berlusconi ne soit pas ministre, rien ne se fait au PdL sans qu'il soit impliqué. Son poste de premier ministre adjoint est assuré par Angelino Alfano, le plus proche allié de Berlusconi et ancien ministre de l'Intérieur.
Ces deux partis, qui ont rivalisé pendant 20 ans, sont entrés ensemble au gouvernement pour surmonter une crise politique aigüe et poursuivre la politique d'austérité du précédent gouvernement non élu dirigé par Mario Monti. En février dernier, les électeurs avaient rejeté de façon décisive tous les partis qui soutiennent les mesures d'austérité de l'Union européenne (UE.)
Immédiatement après la condamnation de Berlusconi vendredi soir et malgré la légèreté de la peine, il y a eu un tollé au sein du PdL, certains représentants du parti jurant qu'ils allaient renverser le gouvernement.
Berlusconi a demandé le soutien de ses collègues du parti ; il a qualifié le pouvoir judiciaire « d'irresponsable » et dit que sa peine « faisait du tort à la démocratie. » Dans un message vidéo il a demandé de façon théâtrale, « Est-ce ainsi que l'Italie victimise ses meilleurs citoyens ? » Il a réclamé une réforme immédiate du système judiciaire, indiquant que sinon il était prêt à de nouvelles élections.
Plus tard, les sénateurs et les députés du PdL se sont rendus devant la presse en tenant à la main leur lettre de démission et ont demandé au président Georgio Napolitano d'amnistier Berlusconi. Ils ont dit que s'il refusait, ils étaient prêts à démissionner et à renverser le gouvernement.
Samedi, Alfano, le dirigeant du parti, a confirmé en sa qualité de premier ministre adjoint et de ministre de l'Intérieur, que l'ensemble du groupe de ministres et de députés du PdL étaient prêts à démissionner si Berlusconi n'était pas gracié. Il a appelé tous les partisans de Berlusconi à participer à une manifestation de protestation dimanche à Rome.
Les bourses ont réagi par de nets zigzags en très peu de temps et plusieurs politiciens s'inquiétant de nouvelles turbulences ont appelé « au calme. » « Ce serait dramatique si le gouvernement tombe, » a déclaré au Corriere dela Sera l'ancien premier ministre Mario Monti
Le PD est profondément divisé et le premier ministre Letta qui est au pouvoir depuis le mois d'avril n'a pas réussi à surmonter cette crise. Sa cote de popularité a brutalement baissé après la formation du gouvernement, d'une part parce qu'il poursuit le programme d'austérité de Monti mais aussi parce qu'il gouverne avec Berlusconi.
Une section croissante du PD soutient ceux qui voudraient voir s'achever l'expérience du gouvernement Letta. Ces forces souhaitent se débarrasser du patron des médias et de son entourage mafieux peu fiable afin de pouvoir appliquer sans entrave les mesures d'austérité exigées par les banques.
Un commentaire du journal La Republica daté du 2 août écrit que la condamnation du dirigeant du PdL a provoqué une nouvelle situation politique. Le commentaire dit que le PD risque de devoir former un gouvernement sans le PdL. « Il y va de leur identité » écrit le journal et cela concerne « non seulement la justice, mais aussi l'intégrité du parlement et avant tout la nature et la qualité de la politique. »
Gugliemo Epifani, dirigeant du PD et ancien chef du syndicat CGIL a déclaré, « On n'est pas lié à Berlusconi ! » Il a demandé au sénat d'accepter la démission de Berlusconi de tous les postes politiques qu'il détient.
Il y a deux ans, le sentiment de haine populaire envers la corruption de Berlusconi avait été utilisé de la même façon pour mettre au pouvoir le gouvernement « technocratique » de Mario Monti. Depuis lors, une campagne d'austérité draconienne depuis plus de deux ans et demie est imposée pour servir les intérêts des banques italiennes et européennes.
Rien n'a changé avec le gouvernement Letta, même si un impôt sur la propriété, qui avait été imposé, a été provisoirement retiré, comme l'avait promis Berlusconi à ses électeurs.
Les cercles bancaires et des affaires intensifient depuis peu leur demande pour que Letta adhère plus strictement à l'austérité, bien que la récession se soit intensifiée dans le pays et que les dettes aient atteint un nouveau record à 130 pour cent du PIB, soit plus de deux mille milliards d'euros.
L'agence de notation Standard & Poors a une fois de plus baissé la note de l'Italie et récemment l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a instamment demandé au gouvernement de Letta de réformer de façon significative le marché du travail. C'est là un euphémisme pour demander de piétiner encore plus impitoyablement les droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière.
La classe ouvrière est en train de payer pour la crise et elle est toujours plus ouvertement jetée dans la pauvreté. Le taux de chômage officiel est de 12,2 pour cent tandis que celui des jeunes approche de 40 pour cent. Le niveau croissant de suicides dont font état les journaux témoignent des conditions de vie abominables des travailleurs.
(Article original paru le 5 août 2013)