Le sommet de l’UE: le ministre allemand des Finances Schäuble exige un super commissaire à l’austérité

Deux jours avant le sommet de l’UE, qui commence aujourd’hui 18 octobre à Bruxelles, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a présenté un nouveau projet pour une union politique des pays de la zone euro. Schäuble a expliqué son idée à un groupe de journalistes sélectionnés qui l’accompagnait alors que l’avion le ramenant de Singapour survolait l’Océan indien.

L’élément clé de son projet est l'attribution de vastes pouvoirs à un Commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, poste actuellement occupé par le Finlandais, Olli Rehn. A l’avenir, le Commissaire aux Affaires monétaires devra « être craint à travers le monde entier comme c’est le cas présentement du Commissaire à la Concurrence », a dit Schäuble. Il devrait disposer du pouvoir de rejeter, sans consultation préalable des autres membres de la commission, le budget d’un pays même s’il a été accepté par un parlement national.

Selon Schäuble, le Commissaire aux Affaires monétaires devrait également être en mesure d’introduire unilatéralement une procédure de déficit ou d’appliquer des sanctions aux pays qui dépassent la limite du déficit budgétaire fixée par l’UE.

La proposition de Schäuble signifie que les membres de la zone euro abandonneraient leur souveraineté budgétaire au profit de Bruxelles où un Commissaire à l’Austérité ferait la loi sans aucun contrôle démocratique ni légitimité. Tous les pays membres de la zone euro devraient alors se soumettre à de strictes directives d’austérité comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal qui ont demandé de l’aide du fonds de secours européen.

Etant donné que c’est l’Allemagne qui donne le ton à Bruxelles en matière de finances en insistant le plus fortement sur l’application de mesures d’austérité, ceci équivaut à ce que Berlin dicte la politique budgétaire des pays membres de la zone euro.

Il est peu probable que la proposition de Schäuble soit acceptée sous cette forme par tous les membres de l’UE ni même seulement par les membres de la zone euro. La crainte d’une hégémonie allemande est trop grande. De plus, la proposition ne pourrait être réalisée qu’en modifiant les traités européens, ce qui est impossible dans certains pays sans soumettre la question à un référendum. Mais, c’est précisément ce que la plupart des gouvernements veulent éviter vu qu’ils s’attendent à une défaite. L’idée maîtresse de la proposition de Schäuble est en premier lieu de renforcer la position de négociation de l’Allemagne au sommet de l’UE.

Un autre plan a été soumis pour examen au sommet par le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, et le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi.

Tout comme le plan de Schäuble, ce « plan des quatre présidents » prévoit un contrôle strict des budgets nationaux par l’UE. Cependant, ceci se ferait au moyen des institutions existantes et grâce à des accords bilatéraux entre les différents Etats membres et la Commission européenne et non, comme dans le cas de la proposition de Schäuble, par le biais d’un tout puissant Commissaire aux Affaires monétaires.

Par ailleurs, le plan des présidents contient plusieurs éléments que Berlin refuse parce qu’ils entraîneraient une redistribution des dettes et de nouveaux fardeaux à tous les membres de la zone euro, ce qui grèverait le budget de l’Allemagne.

Le plan comprend des propositions pour un fond commun afin de liquider les banques se trouvant au bord de la faillite et pour sauver les dépôts des épargnants. De tels fonds n’ont jusque-là existé que dans le cadre national. Le plan prévoit aussi un budget distinct de la zone euro – à ce jour, seule l’UE dans son ensemble dispose de son propre budget – pour réguler les déséquilibres macro-économiques. Il préconise la mise en place d’un fonds d’amortissement de la dette et l’émission d’obligations communes (« eurobonds »).

Ces propositions sont en premier lieu la conséquence de la pression exercée par la France qui a été plus durement touchée par la crise financière et économique que l’Allemagne et qui collabore étroitement avec l’Espagne et l’Italie. C'est la porte ouverte à des conflits au sommet.

Toutefois, Berlin dispose de bien plus que de simples arguments pour obliger les autres participants au sommet à se plier à sa volonté. Selon une étude réalisée par le centre pour la recherche économique Prognos à la demande de la Fondation Bertelsmann, la désintégration de la zone euro aurait en premier lieu des conséquences catastrophiques pour la France.

Le retrait de l’Espagne et de l’Italie, écrivent les chercheurs, déclencherait des « éruptions économiques à travers toute l’Europe et de par le monde. » L’ampleur n’en pourrait « pas être mesurée en recourant aux références actuellement associées à des concepts tels que ‘crise’ ».

Selon les simulations exécutées par Prognos, et qui tiennent compte des pertes des créanciers et d’autres facteurs tels que les répercussions sur l’économie mondiale, la sortie de l’euro de la Grèce et du Portugal pourrait tout juste être gérable. Toutefois, si l’Espagne et l’Italie venaient aussi à quitter la zone euro, ceci occasionnerait des coûts mondiaux à hauteur de 17 milliers de milliards d’euros.

La France dont l’économie est étroitement alignée sur celle de l’Espagne et de l’Italie devrait compter avec un dommage de l’ordre de 155 pour cent de son PIB – de loin le coût le plus élevé de tous les pays étudiés. Les chercheurs ont estimé que le coût pour l’Allemagne serait de 70 pour cent de son PIB.

Vu que la sauvegarde de l’euro dépend surtout de l’Allemagne, économie la plus forte, la catastrophe imminente confère à Berlin un potentiel de coercition considérable. Le plan de Schäuble révèle au grand jour comment le gouvernement allemand envisage d’utiliser ce potentiel – pour réorganiser l’Europe sous la domination allemande.

Le gouvernement conservateur d’Angela Merkel peut compter sur le soutien de l’ensemble de l’opposition parlementaire. Le président du Parlement européen, Martin Schulz, social-démocrate, a salué le plan de Schäuble, tout comme l'a fait le Vert, Daniel Cohn-Bendit. Pour ce dernier, les propositions de Schäuble ne vont pas assez loin. Il veut que les pouvoirs d'exécution du Commissaire aux Affaires monétaires soient considérablement renforcés en le faisant élire par le Parlement européen, comme il l’a soutenu dans un long entretien accordé au Süddeutsche Zeitung.

Malgré toutes les différences, le plan Schäuble et celui des quatre présidents s'accordent sur une question fondamentale : la crise doit être résolue sur le dos des travailleurs. Les deux plans signifient l’octroi de sommes de plus en plus massives aux banques et aux investisseurs financiers et qui sont ensuite récupérées par une réduction des dépenses sociales, une augmentation des licenciements et une baisse des salaires.

Les deux plans signifient aussi que la vision du président français Charles de Gaulle d’une « Europe unie de l’Atlantique à l’Oural » sera enterrée une fois pour toute. Ces plans comptent sur un noyau dur européen formé par des membres de la zone euro (avec en plus peut-être la Pologne et la République Tchèque) regroupé autour de l’Allemagne et de la France alors que les pays non euro, et tout particulièrement la Grande-Bretagne, ne joueront qu’un rôle marginal.

La proposition qu’ont faite les quatre présidents, et qui est appuyée par la France, d’établir un budget distinct pour la zone euro va dans cette direction, tout comme le plan de Schäuble qui consiste à diviser le Parlement européen en sous-parlements nationaux. Seuls les députés des pays directement touchés pourraient alors participer aux votes et, pour ce qui est des questions relatives à l’euro, seuls les membres des pays de la zone euro seraient alors concernés.

Au nom du « sauvetage de l’Europe », argument utilisé tant par Schäuble que par les quatre présidents pour justifier leurs propositions, on va non seulement intensifier les contradictions sociales au sein de l’Europe, mais aussi les tentions nationales.

(Article original paru le 18 octobre 2012)

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