Quatre ans après l’effondrement de Lehman Brothers, le récent Rapport sur la stabilité financière dans le monde publié par le Fonds monétaire international (FMI) montre clairement que le risque d’un écroulement total du système financier international persiste. Et les risques d’un tel événement ne cessent de s’accroître.
Le rapport qui a été publié le 10 octobre dernier débute en soulignant que les risques menaçant la stabilité financière ont augmenté depuis la publication du précédent rapport en avril dernier et que la « confiance vis-à-vis du système financier mondial est devenue très précaire. »
Le principal risque menaçant la stabilité est une nouvelle dégradation de la crise dans la zone euro mais « des déséquilibres émergeant ailleurs sont également une source de préoccupation. »
Le rapport indique une fragmentation croissante de la zone euro qui pourrait entraîner des retraits massifs de capitaux des économies plus faibles ainsi que de l’Europe centrale et orientale. De tels retraits pourraient même faire grimper davantage les niveaux record du chômage. Il existe à présent un « écart » entre les pays de la périphérie de la zone euro et les pays du centre de la zone euro.
La crise provient des déséquilibres qui ont été implantés dès le début dans la zone euro. Pour les soi-disant économies de la périphérie, l’adoption de l’euro comme monnaie commune a signifié qu’elles ne pouvaient plus compter sur une baisse de la valeur de leur monnaie nationale pour sauvegarder leur marché d’exportation. C’est ce qui explique qu’elles ont subi de plus en plus fortement les effets du déficit de la balance des paiements.
Ceci a cependant été couvert par un afflux de capital en provenance d’économies plus fortes, notamment de l’Allemagne. L’afflux de capital a encouragé la demande et a fourni de précieux marchés aux exportations allemandes en créant un soit disant « cercle vertueux ». A présent, c’est un cercle vicieux qui l’a remplacé alors que le capital s’oriente dans l’autre direction. Le rapport indique que « La liquidité des banques dans les pays du centre n’est pas recyclée vers la périphérie mais est déposée dans les banques centrales des pays du centre de l’Europe ou bien investie dans des obligations gouvernementales relativement sûres. »
Les renflouements bancaires ont été accompagnés par l’imposition de programmes d’austérité et par la récession, ce qui a eu pour conséquence davantage de retraits de fonds.
Le rapport du FMI prévient également que le secteur de l’économie privée pourrait devenir « une force additionnelle dans cette boucle de rétroaction pernicieuse » parce que les dégradations des notes souveraines relègueraient les investissements dans la catégorie spéculative.
Les prévisions du rapport ont été faites sur la base de ce que les auteurs ont appelé un scénario de base. Cela suppose que les décideurs politiques européens se rapprochent plus étroitement d’une intégration économique et politique, qu’ils mettent en place un mécanisme de surveillance pour le système financier et qu’ils prennent des mesures pour combler le fossé qui s’est creusé entre les taux d’intérêts élevés dans la périphérie et les taux très bas existant dans les pays du centre, tels l’Allemagne.
A moins que ces mesures ne soient adoptées – ce qui est fort improbable face aux conflits croissants régnant au sein des puissances européennes – la zone euro glissera vers un « scénario de politique faible. »
Ce scénario déboucherait sur une rapide dégradation de la crise financière. Les forces centrifuges « s’enracineraient » et les problèmes de liquidité des banques s’accroîtraient, en constituant « une menace bien plus grande au système financier mondial et à la perspective économique mondiale. »
Pour ce qui est des prescriptions politiques, le FMI exige une intensification des attaques à l’encontre de la classe ouvrière. L’un des facteurs clé de tout programme de relance doit être l’application d’une « consolidation budgétaire propice à la croissance économique. »
Une telle chose n’existe pas. « La consolidation budgétaire » est un euphémisme pour les coupes budgétaires dont l’incidence est une réduction de la demande – soit au moyen de coupes dans les services sociaux soit par la suppression d’emplois dans le secteur public – qui a pour conséquence une nouvelle contraction économique suivie par des exigences supplémentaires en faveur de nouvelles coupes sociales.
Dans le même temps, le capital financier exige que les salaires réels soient réduits et que l’exploitation des travailleurs soit intensifiée. Par conséquent, le FMI réclame des « réformes structurelles et institutionnelles exhaustives » afin de « renforcer la compétitivité et de réduire le déséquilibre externe. »
Cela signifie qu’étant donné que les pays qui connaissent un déficit de la balance des paiements sont incapables de dévaluer leur monnaie, ils doivent appliquer ce que l’on nomme une « dévaluation interne » dans le but de pouvoir réduire leurs coûts, en premier lieu les salaires, et devenir ainsi compétitifs sur les marchés internationaux. »
L’histoire d’une telle « dévaluation interne » a été traitée mercredi par l’éditorialiste économique du Financial Times, Martin Wolf. Ce dernier a souligné que lorsque le Royaume Uni avait appliqué un tel programme entre les deux guerres, le niveau de la production réelle avait été en 1938 à peine supérieur à celui de 1918. « Un chômage élevé, » remarque-t-il, « était le mécanisme employé pour faire baisser les salaires nominaux et réels. »
C’est le programme qui est actuellement appliqué partout en Europe.
Tout en attirant l’attention sur l’Europe, le rapport du FMI a aussi commenté l’aggravation de la situation tant au Japon qu’aux Etats-Unis, les deux principaux piliers de l’économie mondiale.
Le risque de crédit souverain a été un « défi » important auquel la stabilité des Etats-Unis a été confrontée avec une économie déjà affaiblie et devant faire face à une croissance lente et une demande insuffisante. De plus, un « mur budgétaire » (fiscal cliff) pose des « risques à court terme ». C’est-à-dire que la série d’augmentations d’impôts et de réductions des dépenses qui entreront en vigueur à la fin de l’année pourrait, si elle est appliquée, réduire de près de 2 points de pourcentage la croissance de l’économie américaine.
Le rapport a mis en garde que les problèmes actuels de la zone euro étaient un « avertissement salutaire » pour le Japon étant donné le niveau élevé de sa dette publique et les considérables investissements des banques dans les obligations gouvernementales.
La crise a eu des effets contradictoires. D’un côté, le Japon est devenu un bénéficiaire des afflux de capitaux en quête de refuge suite à la crise en Europe. Ces afflux ont fait passer les rendements des obligations gouvernementales à des niveaux planchers record, facilitant ainsi le financement de la dette publique.
De l’autre côté, l’afflux de capital étranger a fait grimper la valeur du yen, affaiblissant ainsi les exportations japonaises et ayant un impact négatif sur la production nationale.
Les forts investissements des banques japonaises dans les obligations gouvernementales pourraient semer les graines de problèmes à venir. Si, pour une raison ou une autre, les rendements des obligations japonaises commençaient à augmenter (à savoir si les valeurs des obligations devaient chuter) les banques subiraient une perte en capital sur leurs avoirs. Et, comme l’expérience de l’Europe l’a montré, ceci peut rapidement déboucher sur une véritable crise financière.
(Article original paru le 12 octobre 2012)