Il y a à peine plus de 20 ans, le Japon était présenté comme le nouveau modèle économique représentant ce que serait le capitalisme mondial à l’avenir. Aujourd'hui, il est confronté à une crise économique de plus en en plus intense, ce qui réfute d'une manière frappante les affirmations selon lesquelles la Chine et les autres « marchés émergeants » peuvent constituer une base pour la stabilisation de l'économie mondiale.
On a annoncé cette semaine que son économie, la troisième plus importante du monde après la Chine et les États-Unis, s'était contractée de 3,5 pour cent sur l'année. Il est maintenant confronté à la possibilité d'une récession – définie comme deux trimestres consécutifs de croissance négative – pour la cinquième fois dans les 15 dernières années.
Le Premier ministre Noda a prévenu que la situation était « sévère » et a dit que le gouvernement y répondrait avec « un sentiment de crise. » Mais ses mots ne font que souligner l'incapacité des gouvernements successifs à raviver l'économie japonaise depuis l'éclatement de la bulle immobilière et financière du début des années 1990.
Noda a annoncé qu'il dissoudrait la chambre basse du Parlement vendredi, déclenchant des élections pour le 16 décembre qui devraient retirer son Parti démocrate du pouvoir.
La dernière contraction sur trimestre était la septième depuis l'effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008 et le début de la crise financière mondiale. À noter que la contraction de 0,9 pour cent sur le trimestre était essentiellement la conséquence du déclin de 0,8 pour cent des revenus des exportations, dont le capitalisme japonais a toujours dépendu au cours de son histoire d'après-guerre.
Sur les deux dernières décennies, la récession est devenue « la nouvelle normalité » de l'économie japonaise. Mais ce dernier déclin est encore plus significatif que les précédents. C'est parce que, pour la première fois depuis que ces statistiques ont commencé à être réunies en 1985, le pays a connu sur le trimestre de septembre un déficit du compte courant qui mesure le flot d'argent entrant et sortant du pays. La balance commerciale mensuelle, qui a été excédentaire durant des années, est elle aussi devenue déficitaire.
En août et septembre, huit des neuf catégories d'exportations japonaises ont affiché une baisse comparé aux mêmes mois de l'année précédente. Les investissements ont également baissé de 3,2 pour cent sur ce trimestre, la baisse la plus forte depuis celle de 5,5 pour cent en avril-juin 2009.
La contraction économique est surtout marquée dans les grandes entreprises du pays, dont les marques renommées jouissaient d'une position dominante au niveau mondial. Le fabricant de produits électroniques Sharp a publié une déclaration au début du mois faisant état de « doutes concrets » qu'il serait en mesure de poursuivre son activité après une deuxième année de pertes record. La compagnie a été contrainte d'hypothéquer les locaux de sa direction et vend ses usines à l'étranger, elle a également réduit les salaires et les emplois pour la première fois depuis 1950.
Panasonic est également en difficulté et prévoit une deuxième année de pertes consécutives de 10 milliards de dollars.
Sans s'en sortir aussi mal que ces deux géants de l'électronique, Sony a vu la note de ses emprunts dégradée par Moody's à juste au-dessus de "spéculatif".
Ces trois compagnies ont été sévèrement touchées par la baisse des prix des télévisions à écran plat et des autres biens de consommation ménagers. Mais le malaise s'étend bien au-delà de l'industrie des produits électroniques. D'après un analyste, « les compagnies japonaises ne font, pour le dire franchement, pas vraiment d'argent. »
Si une partie du déclin peut être imputé au fait que les firmes japonaises, en particulier les géants de l'électronique, ont été dépassées par des rivaux moins chers, il y a des processus plus importants à l'œuvre qui reflètent les tendances de l'économie mondiale dans son ensemble.
À la fin des années 1980, les actions japonaises étaient les plus chères du monde. Mais cela était largement la conséquence d'un bulle massive dans l'immobilier et la finance. Son éclatement, qui a débuté en 1990, a vu l'indice Nikkei tomber de 39 000 aux environs de 9000, là où il est actuellement.
Au cours des deux décennies passées, des gouvernements japonais successifs, avec la Banque du Japon, ont tenté de raviver l'économie avec des plans incitatifs et des crédits à très bas coût. Tout cela en vain. L'économie a suivi une voie maintenant familière, toute croissance économique étant suivie peu après par un glissement vers la récession.
En conséquence, le PIB du Japon a stagné. En 2011, il était de 537 000 milliards de yen, autant qu'en 2005. Si on ajuste ce nombre pour l'inflation, l'économie japonaise a le même volume qu'en 1993.
Cependant, la situation économique aujourd'hui devient plus sérieuse en raison de l'approfondissement de la crise aux États-Unis, en Europe et dans le reste du monde, qui frappe les exportations japonaises, ce qui en retour affecte le financement de la dette publique.
Le gouvernement japonais est le plus endetté au monde. La dette publique des États-Unis est autour de 100 pour cent du PIB ; en Italie, de 120 pour cent ; en Grèce, de 150 pour cent. Mais au Japon c'est 230 pour cent, plus que la dette combinée de tous les 17 membres de la zone euro.
Jusqu’à présent, elle a largement été financée par des ressources nationales. Mais si les balances courantes et commerciales continuent à accumuler des déficits, ce qui est très probable étant donné la récession mondiale qui se creuse et le rôle de la Chine et d'autres pays à bas coût comme principales plates-formes exportatrices du monde, le Japon deviendra toujours plus dépendant des marchés internationaux pour se financer. Toute contraction dans le flot de liquidités ou augmentation des taux d'intérêt par rapport aux minimums historiques actuels risquerait de déclencher une crise financière.
La crise qui se développe dans l'économie japonaise a une importance mondiale, et pas seulement parce que c'est la troisième plus importante du monde. Le programme d'« assouplissements quantitatifs » et ses variantes, mené par la Réserve fédérale américaine et d'autres grandes banques centrales ont été d'abord développés au Japon. Mais au lieu d'apporter une renaissance économique, elles ont créé les conditions d'une crise financière majeure.
La crise économique japonaise a également une dimension politique. Elle signifie que la classe ouvrière japonaise, comme ses homologues autour du monde, sera poussée dans des luttes sociales et politiques majeures dans la période à venir.
(Article original paru le 15 novembre 2012)