Des protestations de masse ont éclaté vendredi partout en Egypte contre le président, Mohamed Morsi et les Frères musulmans (FM) au pouvoir. La veille, Morsi avait promulgué une nouvelle Déclaration constitutionnelle étendant ses pouvoirs dictatoriaux et qu’il avait initialement revendiqués en prenant la relève en août dernier de la junte du Conseil suprême des forces armées (CSFA).
Dans des scènes rappelant les premiers jours de la révolution égyptienne, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés sur la Place Tahrir au Caire. Des jeunes en colère ont scandé des slogans contre Morsi et les FM et pour la poursuite de la révolution. Les chants communs étaient : « A bas l’autorité du Guide suprême des Frère musulmans ! » et « Le peuple veut l’éviction des Frères » et « Le peuple veut la chute du régime. »
Dans les rues avoisinant la Place Tahrir, les manifestants ont été attaqués par la police à l’aide de gaz lacrymogène, de balles de caoutchouc et de véhicules blindés. Les Forces de sécurité centrales et les unités de l’armée ont bouclé avec des fils de fer barbelé le bâtiment du Conseil des ministres et le siège du parlement. Des fourgons de police anti-émeute ont été déployés dans le centre du Caire.
Des affrontements massifs ont eu lieu dans la rue Mohammad Mahmoud au Caire où les affrontements entre les manifestants et les force de police se poursuivent depuis lundi. Des jeunes en colère ont scandé des slogans contre le ministre de l’Intérieur tout en combattant les forces de sécurité. Depuis lundi, des centaines de manifestants ont été blessés et plus d’une centaine ont été interpellés.
Des manifestations contre les Frères musulmans se sont déroulées dans diverses villes égyptiennes. A la fin de la prière du vendredi à la mosquée Al-Qaid Ibrahim, dans la ville côtière d’Alexandrie, des milliers de personnes ont réclamé la « Chute du Guide suprême ». Une foule pro Morsi aurait aussi été présente à la mosquée et des affrontements ont éclaté de part et d’autre.
Plus tard dans la journée, les manifestants ont envahi trois quartiers généraux locaux du Parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), le bras politique des FM. Ils ont scandé « A bas le régime du Guide suprême. » Le chef de la sécurité d’Alexandrie, Abdel Meguid Lofty, a ordonné aux forces de sécurité de sécuriser le principal quartier général du PLJ en ville.
D’autres quartiers généraux du PLJ ont été assaillis à Port Saïd. Après des affrontements avec des membres des Frères musulmans, les manifestants ont escaladé le bâtiment et arraché l’enseigne du PLJ. Dans la ville industrielle de Mahalla al-Kubra, des combats de rue auraient eu lieu entre manifestants et partisans des Frères. Des manifestations anti-Frères se sont déroulées à Ismailia, Assiut, Suez, Minya, Damietta et Aswan.
Morsi a qualifié les manifestants de « voyous payés ». S’exprimant devant une foule de partisans devant le palais présidentiel à Héliopolis, il a affirmé que les protestataires « étaient payés pour jeter des pierres dans la rue Mohamed Mahmoud » et a juré de ne tolérer aucune attaque contre les institutions de l’Etat.
Morsi en a appelé aux forces libérales et pseudo-gauches de l’establishment politique qui participaient activement aux protestations. « La Déclaration constitutionnelle ne cherche pas à venger qui que ce soit, » a-t-il déclaré en ajoutant : « Je suis de votre côté qui que vous soyez et où que vous soyez… ceux qui me soutiennent et ceux qui m’opposent. Je ne privilégierai jamais un camp contre un autre. »
Durant les protestations révolutionnaires de masse de l’année dernière contre le président Hosni Moubarak, l’impérialisme américain s’était fermement positionné derrière le régime égyptien. Alors que Morsi élaborait sa déclaration, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, déclarait mercredi lors d’une conférence de presse au Caire : « Le nouveau gouvernement égyptien assume la responsabilité et la direction qui font depuis longtemps de ce pays une pierre angulaire de la paix et de la stabilité dans la région. »
Washington a réagi à la prise de pouvoir de Morsi en appelant au calme et en demandant à la population égyptienne d’engager un « dialogue démocratique » avec le dernier dictateur en date qui opère comme sa marionnette au Caire.
« Les décisions et les déclarations annoncées le 22 novembre soulèvent des inquiétudes chez de nombreux Egyptiens et au sein de la communauté internationale, » a dit la porte-parole du Département d’Etat, Victoria Nuland. « Nous appelons au calme et nous encourageons toutes les parties à travailler ensemble, et nous appelons tous les Egyptiens à résoudre pacifiquement et par le dialogue démocratique leurs différends sur ces questions importantes. »
Ces protestations reflètent l’hostilité populaire grandissante contre Morsi et les FM au pouvoir – qui poursuivent la politique anti-classe ouvrière et pro-impérialiste de Moubarak – ainsi que les tensions grandissantes au sein de l’élite dirigeante égyptienne.
Les manifestations de vendredi avaient initialement été appelées par une coalition de divers partis libéraux et pseudo-gauches – y compris le Parti de l’Alliance populaire socialiste, les Socialistes révolutionnaires (SR) et le Parti des Egyptiens libres du magnat milliardaire Nagib Sawiris – pour protester contre la mainmise islamiste sur l’élaboration de la nouvelle constitution égyptienne.
Cependant depuis lundi, qui a marqué l’anniversaire de la rébellion l’année dernière de la rue Mohammed Mahmoud contre la junte militaire, les jeunes mènent une lutte contre les forces de sécurité de Morsi dans le centre du Caire.
Durant le massacre brutal perpétré par Israël à Gaza, Morsi s’est révélé être une marionnette de l’impérialisme occidental. Alors que des centaines de roquettes s’abattaient sur population sans défense à Gaza, Morsi a collaboré étroitement avec Israël et les Etats-Unis pour isoler les Palestiniens en se présentant comme la nouvelle figure de proue de l’impérialisme américain dans la région.
De plus, en Egypte même, Morsi est en train de planifier d’importantes attaques contre la classe ouvrière. Mardi 20 novembre, il a obtenu un prêt de 4,8 milliards de dollars du Fonds monétaire International (FMI) basé sur des projets de réduction du déficit budgétaire de l’Egypte et de libéraliser davantage son économie. Mercredi, son gouvernement a approuvé la réduction des subventions du carburant.
Le dernier élément déclencheur des protestations a été la déclaration présidentielle de Morsi. Dans l’article VI de sa déclaration, Morsi revendique des pouvoirs extraordinaires en disant que « le président est autorisé à prendre toutes les mesures qu’il juge nécessaires pour préserver et sauvegarder la révolution, l’unité nationale ou la sécurité nationale. »
L’annonce a clairement montré à de vastes sections de la population égyptienne que Morsi était un ennemi de la classe ouvrière. Il est prêt à recourir à des mesures impitoyables et dictatoriales pour essayer d’écraser la population et poursuivre fondamentalement la même politique que celle de Moubarak.
« Morsi a dit qu’il réserverait un traitement ferme aux manifestants, c’est exactement ce que Moubarak avait dit avant lui, » a expliqué Mahmoud El-Banna, qui était venu de Beni Suef, une ville en haute Egypte, pour manifester sur la Place Tahrir contre Morsi.
S’attendant à une opposition face à sa prise de pouvoir, Morsi en a appelé aux membres des Frères musulmans pour sortir et manifester leur soutien. Bien que les FM aient amené de la campagne leurs partisans en cars, et que les partis salafistes Al-Nour et Al-Assala ainsi que l’ultra-islamiste Al-Gama’a Al-Islamiyya aient rejoint les protestations, la foule sur la Place Tahrir a éclipsé les manifestants islamistes.
(Article original paru le 24 novembre 2012)