Les révélations des services de renseignement français sur les meurtres commis par Mohamed Merah en mars dernier à Montauban et à Toulouse en pleine campagne présidentielle soulèvent de nouvelles interrogations sur le rôle de la classe politique française.
Entre le 11 et le 19 mars, sept personnes ont trouvé la mort dans le sud-ouest de la France : trois parachutistes d’origine maghrébine de régiments déployés en Afghanistan et trois enfants et un professeur d’une école juive. Une unité spéciale de la police a finalement tué le principal suspect identifié par la police, Mohammed Merah, criblé de balles lors d’un assaut livré à son appartement et dirigé par le ministre de l’Intérieur d’alors, Claude Guéant.
Des comptes rendus d’audition publiés par le journal Libération du 31 octobre confirment que la direction de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), a systématiquement « ignoré » le fait que Merah préparait et commettait des meurtres.
Libération cite des responsables de la DCRI toulousaine auditionnés par le juge Christophe Tessier, selon lesquels la direction nationale de la DCRI s’est opposée tant à leur évaluation de la « dangerosité » de Merah qu’à leurs décisions avant et durant les meurtres.
La DCRI n’aurait pas donné suite à une demande d’enquête judiciaire de l’antenne toulousaine sur Merah en juin 2011 et son signalement au parquet antiterroriste, alors qu’on le considérait comme un « djihadiste » potentiel. Quelques mois plus tard, la centrale parisienne a proposé de le recruter comme indicateur, chose que les responsables toulousains jugeaient « surréaliste ».
Ces informations discréditent les arguments du chef de la DCRI à l’époque, Bernard Squarcini. Il a avancé la thèse que Merah était un terroriste « loup solitaire », sans contact avec personne, pour justifier l’incapacité de la DCRI à « détecter » et arrêter Merah. Comme le WSWS a remarqué à l’époque, les commentaires de Squarcini ont fini par démontrer que Merah avait servi d’indicateur de la DCRI. (Voir : Le tireur de Toulouse aurait été un informateur des services de renseignement français)
Les éléments conjugués qui apparaissent à présent rendent difficile de ne pas conclure qu’une partie des services de renseignement intérieurs français aurait facilité ou même sciemment laissé agir Merah, avant et pendant les meurtres.
Merah avait fait des voyages avec une relative facilité dans des pays comme l’Afghanistan et le Pakistan, alors qu’il était interdit d’entrée aux États-Unis.
On l’a retiré de toute surveillance peu avant qu’il ne commence à préparer les meurtres. En novembre 2011, « alors même que Mohamed Merah commence les préparatifs de ses actes terroristes, son niveau de dangerosité est donc “revu à la baisse par les spécialistes parisiens” » écrit Libération.
Selon le chef de la DCRI de Toulouse, celui-ci voulait participer à l’enquête après les premiers meurtres à Montauban, mais on lui a dit que ce n’était pas nécessaire. Paris insista pour que l’enquête se concentre exclusivement sur les milieux d’extrême-droite, contre l’avis de l’agence toulousaine.
Celle-ci fournit une liste sur laquelle, aurait figuré en tête le nom de Mérah. Il y avait aussi de grandes chances, selon Libération, que Merah soit « détecté » plus tôt, grâce à une liste d’adresses IP où figurait le nom de la mère de Merah.
La veuve et le frère d’une des victimes du mois de mars, le caporal Abel Chennouf, ont porté plainte contre la DCRI et son ancien directeur, Bernard Squarcini, pour « mise en danger délibérée de la vie d'autrui » et « non-empêchement d'un crime ou d'un délit portant atteinte à l'intégrité corporelle de la personne ». Le père de Chennouf avait déjà porté plainte au mois de mai.
L'avocate de la veuve de Chennouf a dit, « Si ces policiers toulousains disent vrai et que la décision a réellement émané de Paris, alors qui a pris cette décision à Paris ? » Elle poursuit : « En tout état de cause et en l'état des éléments en notre possession, nous estimons que Bernard Squarcini et Claude Guéant se moquent du monde en affirmant que Merah était un loup solitaire et qu'aucun élément ne permettait de mesurer sa dangerosité ! »
Le comportement de la DCRI ressemble beaucoup aux « dysfonctionnements » à répétition des services de renseignement américains avant les attentats du 11 septembre 2001. Ceux-ci ont ensuite servi de prétexte à l’invasion de l’Afghanistan puis à celle de l’Irak. Depuis, ils servent « d’explication » pour la prétendue « guerre contre la terreur », un des piliers de la politique extérieure de l’impérialisme américain.
Dans ce cas-ci, les attentats de Montauban et Toulouse ont profité à la campagne électorale du président sortant, Nicolas Sarkozy, dont Squarcini est un proche.
Le pays fut pris en otage, l’État et la presse imposant pendant des jours le silence sur tout autre thème politique que la sécurité nationale, le terrorisme, et l’anti-islamisme. Sarkozy remonta rapidement dans les sondages. Il en profita pour introduire de nouvelles lois criminalisant l’accès à certains sites Internet ou les voyages dans certains pays musulmans.
Le PS avait donné dans la même veine, enterrant toute critique des conservateurs, son candidat apparaissant ensemble avec Sarkozy et la candidate néo-fasciste Marine Le Pen lors de cérémonies commémorant les victimes. La « gauche » petite-bourgeoise, telle le Nouveau Parti anticapitaliste et le Parti communiste français, n’a pris aucune initiative pour exposer le caractère profondément anti-démocratique de ces évènements. Elle a suivi le PS.
L’actuel gouvernement Hollande a réagi en mettant l’accent sur la prétendue nécessité de renforcer les services de renseignement et non pas une recherche des responsabilités éventuelles. Dans ce but, et se réclamant cyniquement de « la transparence », Valls a diffusé le rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’a mis à la disposition du parlement.
Ceci souligne le caractère réactionnaire et anti-démocratique des partis bourgeois en France, qui répondent à une affaire qui expose la responsabilité des services de renseignement en leur donnant des pouvoirs accrus.
Le parti écologiste EELV (Europe Ecologie Les Verts, allié au PS) ainsi que des avocats des familles des victimes ont demandé la constitution d’une commission parlementaire d’enquête.
Le député PS Jean-Jacques Urvoas, qui conduit une « mission parlementaire » destinée à préparer une « réforme des services de renseignements », leur a donné d’emblée une fin de non-recevoir. Il a dit que le « parlement ne pouvait enquêter sur une affaire tant que l'enquête judiciaire était en cours. » Il s’appuie en cela sur un décret du 17 novembre 1958, au plus fort de la guerre d’Algérie, pour interdire la constitution d’une telle commission.