Les élections législatives qui se sont tenues le 25 novembre ont eu pour résultat un vote significatif pour les partis réclamant l’indépendance par rapport à l’Espagne.
Les élections anticipées avaient été annoncées le 25 septembre par la coalition nationaliste conservatrice au pouvoir Convergence et Union (Convergència i Unió, CiU) menée par le président Artur Mas qui dirige la région depuis les élections de 2010 en tant que gouvernement minoritaire en concluant des pactes avec d’autres partis. Les résultats sont susceptibles de générer des demandes accrues pour que le nouveau gouvernement organise un référendum sur l’autodétermination, ce qui déclencherait une crise constitutionnelle. Le gouvernement national du Parti populaire (PP) dirigé par le premier ministre Mariano Rajoy et la principale opposition, le Parti socialiste (PSOE), sont fortement opposés à une séparation. Ils affirment que seul le gouvernement à Madrid est habilité légalement à demander un référendum et que ce référendum devrait inclure l’ensemble du pays.
Le gouvernement PP a refusé un pacte fiscal accordant à la région un plus grand contrôle sur la taxation. Une manifestation organisée le 11 septembre sous le slogan, « La Catalogne, un nouvel Etat en Europe » a attiré 1,5 million de personnes, soit un quart de la population. Au sein des milieux dirigeants, l’on craint que toute initiative en faveur de l’indépendance de la Catalogne ne soit rapidement suivie par des actions identiques au Pays Basque pour résulter en un démembrement de l’Espagne.
La Catalogne est de loin la plus riche des 17 régions autonomes de l’Espagne et représente environ 20 pour cent du produit intérieur brut. La classe dirigeante de la région défend la création d’un nouveau mini-Etat dans le but de mettre fin à ce qu'elle considère être une subvention aux régions plus pauvres. Elle cherche à obtenir une part plus grande de l’exploitation de la classe ouvrière par les groupes transnationaux en abaissant les impôts sur les sociétés et en réduisant drastiquement les dépenses sociales.
La CiU domine la politique catalane depuis la fin du régime franquiste et la transition vers la démocratie de 1978. Il n’a que récemment abandonné sa « politique d’identité nationale et linguistique… au sein du cadre espagnol » en faveur d’une séparation menaçante. Mas a signalé qu’il pourrait organiser un référendum en 2014 conformément à celui attendu en Ecosse. La CiU a attisé le nationalisme dans le but de détourner l’attention des énormes réductions budgétaires de 5 milliards d’euros dans l’éducation, les soins de santé et les services sociaux en affirmant qu'une séparation de l’Espagne signifierait que de telles réductions ne seraient pas nécessaires. Mais, il a perdu 12 sièges lors des élections de dimanche et termine avec 50 sièges sur les 135 sièges que compte le parlement régional vu que les électeurs l’ont sanctionné pour ses mesures d’austérité.
Néanmoins, deux tiers de l’électorat ont voté pour des partis préconisant un référendum sur l’indépendance, ce qui montre que la revendication selon laquelle une séparation de l’Espagne diminuerait le besoin d’austérité a attiré un électorat significatif malgré l’hostilité à l’égard de la CiU. Après l’élection, Mas a dit devant les partisans « Nous déduisons de ce résultat que nous sommes de toute évidence l’unique force capable de mener ce gouvernement mais nous ne pouvons pas le faire seul. Nous devons partager les responsabilités… La présidence doit être prise, mais nous devons aussi réfléchir aux côtés des autres forces. »
Les « autres forces » qu’il mentionne sont les partis qui sont mieux parvenus à recouvrir le programme séparatiste poursuivi par la bourgeoisie régionale et les couches de la classe moyenne supérieure d'un manteau pseudo-progressiste. La gauche républicaine indépendantiste de Catalogne (ERC) a obtenu les plus gros grains – en doublant le nombre de sièges de 10 à 21 et sa part des voix populaires passant de 7 à 13,7 pour cent. Les deux partis à eux seuls auraient une majorité suffisante. Il y a aussi des pourparlers avec la section du Parti socialiste en Catalogne (PSC).
L’ERC préconise le séparatisme essentiellement selon les mêmes conditions que la CiU, en affirmant que la Catalogne finance par le biais des impôts les régions agricoles pauvres dans le Sud de l’Espagne. Lors des élections régionales de 2003, l’ERC a vu sa part de voix passer à 16,4 pour cent, doublant presque le nombre de ses sièges qui est passé à 23 et est entré dans un gouvernement de coalition avec le Parti socialiste catalan (PSC). Ceci implique aussi l’ICV-EUiA – une coalition entre l’Initiative pour la Catalogne-Les Verts et la Gauche unie et alternative – mettant fin à 23 ans de contrôle de la CiU. Le soutien de l’ERC a dégringolé en 2010 parce qu’elle faisait partie de la coalition responsable du plan massif de réduction du déficit du 10 juin 2010.
Le PSC a poursuivi son déclin à long terme, en ne remportant que 20 sièges et 14,4 pour cent des voix par rapport à son record de 1999 où il disposait de 52 sièges et de 37,8 pour cent des voix. Son électorat traditionnel de la classe ouvrière a laissé tomber les sociaux-démocrates parce qu’ils sont perçus comme n'ayant pas de différences réelles avec les partis droitiers.
L'ICV-EUiA se compose de radicaux de « gauche » petits bourgeois, de Verts et de staliniens, et se présente comme « écologiste, » « socialiste » et « féministe ». Il a également fait campagne en faveur du droit d’« auto-détermination ». En ignorant son propre rôle joué dans la coalition catalane d’austérité et de coupes budgétaires qui est appliqué par ses partis frères ailleurs en Espagne, l’ICV-EUiA a fait campagne sur la base d’un manifeste pour « vaincre la politique dogmatique d’austérité. » Il a enregistré son plus grand succès électoral en augmentant de trois le nombre de ses sièges en les portant à 13. Le nationalisme qu’il promeut sert à politiquement démobiliser les travailleurs et à les empêcher de mettre en avant dans une lutte unifiée leurs propres intérêts indépendants.
Il existe un bon nombre d’autres groupes nationalistes petits bourgeois qui se font passer pour socialistes ou marxistes en espérant de s’assurer leur place dans une quelconque nouvelle organisation régionale, et parmi lesquels on compte le parti Candidature d’Unité populaire (CUP) qui pour la première fois a remporté trois sièges. Fondé en 1986 à partir des restes de diverses scissions de l’ERC, le CUP se décrit comme étant un mouvement « indépendantiste » catalan, socialiste, vert, non patriarcal et loyaliste. Il réclame l’unification de tous les pays catalans en incluant les îles Baléares, la région de Valence et des Pyrénées Orientales en France et une alliance des pays méditerranéens (Portugal, Italie et Grèce).
Le séparatisme catalan, programme élaboré dans l’intérêt de l’élite privilégiée, a bénéficié d’une large acceptation par défaut en raison de la trahison des syndicats et des partis nommément de « gauche » lors des tentatives répétées de la classe ouvrière de résister à l’austérité. Les syndicats ont organisé des manifestations symboliques tout en acceptant les « réformes » du travail engagées par le gouvernement et les employeurs et en isolant de nombreuses grèves des travailleurs du secteur public. En Catalogne, les syndicats ont appuyé les appels en faveur du pacte fiscal et ont soutenu la manifestation du 11 septembre.
Mais, le mensonge selon lequel tous ces partis s’opposeraient aux mesures d’austérité a été révélé au grand jour par leurs efforts désespérés de garantir une place à une Catalogne indépendante au sein de l’Union européenne, le principal instrument par lequel la bourgeoisie européenne est actuellement en train d’imposer ses exigences pour des coupes brutales en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Italie. L’unique demande qu’ils expriment vraiment est que le couperet tombe plus fortement sur la population de ces pays plutôt que sur la Catalogne. Mais lorsque les exigences de coupes sociales se feront entendre, sur le plan intérieur ou extérieur à l’Espagne, ces coupes seront loyalement imposées par eux tous.
Aucune de ces fausses organisations de gauche ne formule la demande essentielle en faveur d’une lutte unifiée des travailleurs contre l’Etat espagnol, l’Union européenne et les gouvernements qui la composent. L’unité de la classe ouvrière présuppose une opposition politique au séparatisme. Ce ne sont pas des Etats nouveaux et plus petits qu’il faut, mais la fin de toutes les divisions nationales grâce à l’unification de la classe ouvrière espagnole, européenne et internationale et la formation des Etats socialistes unis d’Europe.
(Article original paru le 27 novembre 2012)