De plus en plus de faits continuent d’émerger prouvant l’existence de liens entre les services de renseignement intérieur allemands (l’Office fédéral de protection de la constitution – Verfassungsschutz ou VS) et les terroristes nazis. Et pourtant, dans des conditions où de vastes couches de la population redoutent l’émergence d’une nouvelle version de la Gestapo, le parti allemand Die Linke défend explicitement les services secrets en réclamant des changements structurels dans le but d’optimiser leurs activités.
À la fin de l’année dernière, des comptes rendus des médias avaient révélé qu’une organisation néo-fasciste appelée le Mouvement clandestin national-socialiste (Nationalsozialistischer Untergrund, NSU) opérait en Allemagne depuis 2000 et était responsable d’au moins neuf meurtres à motivation raciste ainsi que celui d’une femme policière.
L’enquête a révélé que le VS avait été informé dès le tout début des activités du NSU en indiquant que les services de renseignement avaient délibérément protégé les membres du NSU contre des poursuites. Le VS avait infiltré des agents secrets dans la périphérie du mouvement et avait pourtant ignoré la preuve établissant un lien entre les membres du NSU et les opérations d’attentats à la bombe en aidant au moins l’un des terroristes du NSU à obtenir un nouveau passeport.
En dépit de ces révélations, aucune enquête sérieuse ne fut entreprise. Plutôt que de mener une enquête exhaustive, le parlement allemand (Bundestag) avait décidé d’élargir les pouvoirs du VS. En conséquence, l’agence est à présent autorisée à avoir accès à des dossiers cruciaux de la police et des services secrets des Länder. Ainsi, elle se trouve à lier la police et les services secrets, ce qui était officiellement prohibé en Allemagne depuis la Deuxième Guerre mondiale comme conséquence des crimes commis par la Gestapo de Hitler.
Fin juin, il fut connu qu’un agent du VS avait détruit sept dossiers personnels d’agents secrets opérant dans le giron du NSU, un jour après les premières révélations de novembre dernier concernant le NSU. Cette destruction délibérée de preuves fut dissimulée jusqu’il y a une semaine.
En début de semaine, Heinz Fromm, un membre du parti social-démocrate SPD, a démissionné de son poste de directeur du VS. Quelques jours plus tard, le chef du VS du Land de Thuringe démissionnait aussi. Ces décisions visaient plutôt à réduire au silence des critiques internes que de faire la lumière sur ce qui s’était passé.
Il n’est toujours pas clair si les membres du NSU figuraient sur le registre de personnel rémunéré par le VS. De nombreux indices laissent toutefois croire que le VS a joué un rôle actif majeur dans l’établissement du NSU. Les plus récents éléments suggèrent aussi que la collaboration avec les néo-nazis n’a pas seulement été l’initiative de juste un ou deux agents, mais a été coordonnée au plus haut niveau hiérarchique du VS.
Tous les efforts déployés pour révéler ses liens sont toutefois entravés non seulement par le VS mais aussi par tous les partis politiques représentés au parlement. Tous ces partis disposent de représentants dans l’organe de contrôle parlementaire (Parlamentarische Kontrollgremium, PKGr) qui est habilité à enquêter dans tous les services du renseignement allemand et à avoir accès à l’ensemble de leurs fichiers. Mais, pas un seul des membres du PKGr n’a rendu publique la moindre information substantielle.
Au lieu de cela, tous ces partis défendent l’agence de renseignement et minimisent ce qui s’est passé en parlant de simples « bavures » et de « fautes. » Ils ne réclament ni une enquête complète et ni la dissolution de l’agence, mais au contraire une « réforme structurelle », pour reprendre les propos de Claudia Roth, du parti des Verts, ou « une réforme fondamentale » comme le propose Thomas Oppermann du SPD.
Le but d’une telle réforme est d’augmenter les pouvoirs du service de renseignement. Le ministre de l’Intérieur de Basse-Saxe, le chrétien-démocrate (CDU), Uwe Schünemann, a déjà annoncé des mesures allant dans ce sens. Il est nécessaire « qu’il [le VS] soit même impliqué davantage dans la protection contre les dangers et dans l’application du droit », a-t-il déclaré mercredi.
La défense la plus farouche du service de renseignement a toutefois émané du groupe parlementaire du parti Die Linke au Bundestag. Son représentant au PKGr, Wolfgang Neskovic, a déclaré à la radio allemande que l’Allemagne avait besoin d’une agence de renseignement. « Je comprends les critiques, elles sont justifiées, » a-t-il dit, « mais nous ne pouvons pas simplement démanteler la brigade des sapeurs-pompiers parce qu’elle n’a pas réussi à éteindre un incendie. »
Ce faisant, Neskovic et Die Linke se rangent derrière la tentative inter-groupe parlementaire pour présenter la collaboration du VS avec le NSU comme étant une erreur regrettable faite par une autorité qui par ailleurs est tout à fait efficace et légitime.
La réalité est que dès le début de son existence, le VS a joué un rôle de pyromane plutôt que de pompier. Il fut mis en place après 1955 par Hubert Schrübbers qui avait été au service du régime nazi comme membre des troupes d’assaut des SA et comme procureur général. Selon Wikipedia, il avait occupé un grand nombre de fonctions dans les services secrets aux côtés d’autres membres des SS et du service de la sécurité, le SD (Sicherheitsdienst).
Depuis le début des années 1990, il y a eu d’innombrables articles sur les agents du VS, pour la plupart des agents secrets, qui ont joué un rôle influent dans le milieu nazi en Allemagne et qui comprenait des criminels reconnus coupables et leurs associés. Il s’est avéré que l’un des sept fonctionnaires du parti d’extrême droite, le Parti national-démocratique allemand (NPD), a été à la solde du VS.
Dès sa création, cette institution réactionnaire fut orientée exclusivement contre des organisations de gauche et tout mouvement indépendant de la classe ouvrière. Après l’introduction par le chancelier SPD, Willy Brandt, du décret anti-radical de 1972, les agents du VS ont ratissé les dossiers de 1,4 million de personnes, pour la plupart de jeunes aspirants au service public, dans le but d’empêcher ceux d’entre eux ayant des liens avec des organisations de gauche d’obtenir un emploi. L’interdiction fut justifiée au motif que les gauchistes étaient les ennemis de la constitution, c’est-à-dire coupables de trahison.
Le même argument a à présent été repris par Neskovic pour faire taire les adversaires des services secrets. Il a justifié son refus d’appeler à un démantèlement de l’agence de renseignement en disant qu’une violation du « droit de protéger la constitution [serait en soi] une violation constitutionnelle. » Ce choix de mots est très important en Allemagne où, au nom de protéger la constitution, l’État est autorisé non seulement d’interdire l’accès de certains emplois à des individus, mais d’interdire des organisations tout entière.
La position adoptée par Die Linke illustre clairement son rôle en tant que parti de l’ordre public bourgeois. Die Linke est né d’une fusion entre la WSAG – l’Alternative électorale travail et justice – dominée par des bureaucrates syndicaux – et le Parti du socialisme démocratique (PDS), le successeur du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), parti stalinien d’Allemagne de l’Est. En tant que tel, il incarne une longue histoire des capacités de répression de la classe ouvrière d’un État policier.
Étant issu du parti stalinien qui a créé la tristement célèbre police secrète Stasi, le PDS a joué un rôle crucial dans la répression des grèves indépendantes, des occupations d’usine et des manifestations qui se sont déroulées durant la période de la réunification capitaliste de l’Allemagne. Le président du comité des sages du parti, Hans Modrow, s’est souvent vanté que le plus important rôle du parti fut « de maintenir l’ordre public » durant ces mois décisifs de la réunification.
Le fait que Die Linke est revenu si clairement à ses racines dans l’affaire du VS en s’engageant de de lutter contre les « ennemis de la constitution » est lié à la croissance de l’inégalité sociale et aux attaques grandissantes contre la classe ouvrière. Partout en Europe, les travailleurs sont acculés à la pauvreté alors que les banques reçoivent des centaines de milliards de fonds publics.
Ceci mènera inévitablement à des convulsions sociales et à une croissance explosive des luttes de classe. La classe dirigeante en Allemagne, comme partout en Europe, aux États-Unis et internationalement, se prépare pour une telle éventualité en renforçant les pouvoirs répressifs de l’État.
Les droits démocratiques fondamentaux sont en train d’être minés sous l’égide de gouvernements bourgeois de toutes allégeances politiques et, le cas échéant, comme en Grèce et en Italie, des gouvernements élus sont remplacés par des technocrates non élus alors que les partis d’extrême droite sont toilettés par l’État pour prendre la relève. Le rôle des services de renseignement en Allemagne dans l’entretien et la protection de terroristes fascistes donne un aperçu jusqu’où l’élite dirigeante est prête à aller.
La polarisation des forces de classe oblige toutes les tendances politiques à afficher leur véritable visage politique et à révéler leur caractère de classe. Elle a clairement exposé au grand jour le caractère bourgeois droitier de Die Linke.
(Article original paru le 7 juillet 2012)