Le récent scandale bancaire, qui avait avant ce jour surtout éclaboussé la banque Barclays au Royaume-Uni, s’étend maintenant au coeur du système financier mondial. Il y est révélé comment une poignée de banques géantes manipule le marché dit « libre » pour accroître leurs bénéfices et les fortunes de leurs gestionnaires et de leurs gros investisseurs. En fait, on est devant un pillage économique dont le résultat est le chômage de masse, la pauvreté et une inégalité sociale grandissante.
De nombreuses grandes banques ont suivi la Barclays qui, la semaine passée, a été la première à admettre qu’elle avait manipulé le plus important indice des taux d’intérêt internationaux, le Libor (pour London Interbank Offered Rate), le taux interbancaire de référence sur le marché londonien. Le Libor, qui est fixé quotidiennement, est censé indiquer le taux d’intérêt moyen auquel les grandes banques se prêtent mutuellement de l’argent à court terme. Le Libor sert de référence pour les taux d’intérêt des prêts personnels et des prêts pour investissement, ce qui affecte des centaines de millions de personnes partout dans le monde.
Le taux du Libor influence les taux d’environ 360.000 milliards de dollars en prêts et en swaps sur défaillance (« credit default swaps, CDS »). Il a un impact sur les contrats à terme négociés à la Bourse de commerce de Chicago (Chicago Mercantile Exchange, CME) dont le volume quotidien des transactions est supérieur à 564.000 milliards de dollars.
Le Libor, et son homologue basé à Bruxelles, l’Euribor (le taux interbancaire de référence sur le marché européen), qui est également la cible de manipulation bancaire, sont utilisés pour calculer le taux de prêts hypothécaires, de prêts étudiants et de cartes de crédit s’élevant à 10.000 milliards de dollars. Environ 90 pour cent des prêts commerciaux et hypothécaires américains sont liés à cet indice.
Dans les mots d’un commentateur du Financial Times, manipuler le Libor correspond à « contaminer l’eau courante ».
Dans un accord à l’amiable passé avec l’Autorité britannique des services financiers (FSA), l’Autorité américaine de régulation des marchés à terme et dérivés (CFTC) et le Département américain de la Justice, Barclays, la quatrième plus grande banque du monde en termes d’actifs, a admis la semaine passée avoir commis des « erreurs ». Elle a accepté de verser un total de 453 millions de dollars aux trois agences pour avoir tenté de manipuler le taux du Libor entre 2005 et 2009.
Les rapports publiés par ces trois services renferment des courriels, des messages SMS et des conversations téléphoniques montrant qu’entre 2005 et 2007 la banque avait sciemment présenté à la direction du Libor de fausses évaluations, le plus souvent trop élevées, des taux d’intérêt auxquels elle empruntait aux autres banques. La Barclays répondait ainsi aux demandes de sa section chargée des produits dérivés qui avec ses données faussées pouvait tirer profit de leurs paris sur les swaps par défaillance et autres dérivés.
Entre 2007 et 2009, au plus fort de la crise financière mondiale, la banque a volontairement sous-estimé les coûts d’emprunts des autres banques dans les chiffres qu’elle envoyait à la direction du Libor dans le but de mieux dissimuler la vulnérabilité de sa situation financière.
Ce genre de pari sur les taux du Libor et de l’Euribor (ainsi que sur le Tibor, basé à Tokyo) a été pratiqué par pratiquement toutes les grandes banques internationales. Une douzaine de régulateurs de par le monde sont en train d’enquêter sur 12 à 20 autres banques, dont le conglomérat bancaire HSBC, la Royal Bank of Scotland en grande partie propriété d’État, la Deutsche Bank, le Crédit Suisse, la UBS, JPMorgan Chase, Citigroup, Bank of America, la Banque de Tokyo-Mitsubishi et Sumitomo Mitsui. On s’attend à ce que d’autres accords soient conclus suivant l’exemple de l’arrangement passé entre Barclays et les agences de régulation au courant de la semaine prochaine.
Ce complot des banquiers a un très réel et immense impact sur la vie des gens ordinaires. D’innombrables milliards ont en fait été volés aux nouveaux propriétaires de maisons et d’immeubles ou aux détenteurs d’hypothèques à taux variables, de cartes de crédit, aux détenteurs de prêts étudiants, au financement de petites entreprises ou autres consommateurs chaque fois que les banques ont fixé le Libor de manière artificiellement élevée. Le Wall Street Journal a souligné jeudi qu’un taux d’intérêt trop élevé de 0,3 pour cent se traduisait par une augmentation de 100 dollars du remboursement mensuel sur un crédit hypothécaire à taux variable de 500.000 dollars.
La sous-estimation du taux du Libor a, d’autre part, coûté aux détenteurs d’obligations qui ne font pas partie du complot, d’innombrables milliards en rendement de moins. Sont concernés les gouvernements fédéraux ou locaux qui ont diminué les déficits budgétaires en supprimant drastiquement les emplois, en réduisant considérablement les salaires et les services publics. Sont concernés aussi les fonds de pension et les retraités disposant de placements fixes et dont les revenus furent substantiellement réduits.
L’arrangement convenu avec Barclays est un blanchiment permettant aux directeurs des banques de se tirer d’affaire et de dissimuler la complicité des gouvernements et des régulateurs bancaires dans cette escroquerie. L’amende de 453 millions de dollars est une portion infinitésimale des milliards que Barclays a gagné illégalement au cours des années en falsifiant ses taux d’intérêt du Libor et de l’Euribor. Ce n’est pas cher payé pour permettre ce qui en essence est une opération criminelle en continu.
En dépit de courriels et autres preuves du contraire, les régulateurs ont conclu qu’ils ne pouvaient déterminer si les directeurs de Barclays étaient impliqués dans la fraude. L’accord à l’amiable d’un montant de 160 millions de dollars conclu avec le Département américain de la Justice a exonéré la banque de poursuites pénales. Aucun responsable de Barclays ou d’une autre banque n’a à ce jour eu à faire face à des poursuites criminelles ou a fait l’objet de poursuites civiles. Y compris, le directeur exécutif Robert Diamond, qui a démissionné mardi.
L’année dernière, Diamond a eu près de 39 millions de dollars de rémunération totale. Depuis qu’il est arrivé en 2005 à la direction de Barclays, il a empoché un salaire totalisant 311,7 millions de dollars de bénéfices, de primes et de dividendes. Il y a moins d’un an, Diamond, qui a été convoqué mercredi devant le Comité du Trésor britannique de la Chambre des communes (British House of Commons treasury select committee) a dit à cette occasion que « le temps des remords et des excuses » des banques était révolu.
L’une des raisons pour lesquelles les gouvernement américain et britannique et les régulateurs voulaient balayer aussi vite que possible le scandale sous le tapis est qu’ils sont directement impliqués.
Des accusations selon lesquelles les banques manipulaient le Libor furent avancées au moins dès 2007 et furent ignorées par les gouvernement américain et européen ainsi que les régulateurs. En fait, ils avaient encouragé les banques à soumettre des chiffres de taux d’intérêt bas après l’éruption de la crise financière en 2007 afin de cacher l’ampleur de la crise et de protéger l’élite financière. Barclays estime que Paul Tucker, le vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre, avait suggéré en octobre 2008 à Diamond que ses chiffres présentés à la direction de Libor étaient trop élevés.
Le Libor en soi est un produit de déréglementation des banques effectuée au cours de ces 30 dernières années par les gouvernements capitalistes de tous bords, se disant de « gauche » aussi bien que conservateurs. Lancé au milieu des années 1980, c’est un bel exemple de l’« autorégulation », un euphémisme pour donner aux banques un blanc-seing pour manipuler les marchés et piller la population.
Le Libor est présidé par l’Association des banquiers britanniques (British Banker’s Association, BBA), un groupe de pression du service bancaire privé actuellement dirigé par le président de Barclays, Marcus Agius. Dix-huit des plus grandes banques du monde présentent tous les matins à la direction du Libor des données sur les prêts pour contribuer à fixer le taux mondial auquel leurs propres paris commerciaux sont liés. Ces mêmes banques contrôlent la BBA.
Le Libor, comme beaucoup d’autres mécanismes du marché, est intrinsèquement corrompu et criblé de conflits d’intérêts.
Toute affirmation que ce creuset d’avarice et de corruption peut être « réformé » est le produit de l’ignorance, de l’aveuglement et de la tromperie. Les banquiers qui ont fraudé doivent être poursuivis en justice et leurs fortunes, obtenues de manière illégale, doivent être saisies et utilisées pour fournir de l’aide aux chômeurs, aux sans-abris et à tous ceux qui sont victimes de la mafia financière.
Le sort de l’humanité, l’allocation rationnelle et progressiste des ressources pour profiter aux habitants du monde et empêcher une nouvelle situation de dévastation sociale, requièrent l’expropriation des banques par la classe ouvrière et leur transformation en institutions publiques démocratiquement contrôlées et gérées dans l’intérêt des besoins sociaux et non des profits privés.
(Article original paru le 6 juillet 2012)