Le président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la deuxième plus importante centrale syndicale du Québec, a balayé d'un revers de main toute possibilité que les syndicats organisent un mouvement de revendication, même limité, contre le gouvernement libéral de Jean Charest, son programme d’austérité et la draconienne loi 78.
Après l’adoption de la loi 78, une loi qui criminalise la grève étudiante et impose de sévères restrictions au droit de manifester pour n’importe quelle cause, n’importe où au Québec, les dirigeants de la CLASSE (Coalition élargie de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante) ont suggéré que la lutte s’élargisse à travers une «grève sociale».
Le caractère de cette «grève sociale», sa durée, sa direction et son objectif, n’ont pas été précisés. Cependant, la CLASSE, qui a défendu depuis longtemps l’idée que les étudiants pouvaient forcer le gouvernement à abandonner sa hausse des frais de scolarité à l’aide d’une campagne de protestation à cause unique, conçoit clairement la «grève sociale» comme un plus grand mouvement de protestation qui impliquerait les syndicats et les organismes communautaires dans un ou plusieurs «jours de mobilisation». Par «grève sociale», la CLASSE n’entend pas une grève générale qui aurait pour but de renverser le gouvernement Charest et de développer un mouvement politique de la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada dans le but de lutter pour un gouvernement ouvrier.
Mais pour les syndicats, toute mobilisation des travailleurs de la base et tout mouvement qui s’approche d’une grève politique sont une abomination.
Les syndicats cherchent depuis longtemps à mettre un terme à la grève étudiante, justement parce qu’ils craignent qu’elle devienne le catalyseur d’un mouvement de masse de la classe ouvrière. Début mai, les présidents des trois principales centrales syndicales de la province sont venus prêter main-forte à Charest et à la ministre de l’Éducation Line Beauchamp (qui a depuis été remplacée par Michelle Courchesne) pour forcer les dirigeants de la CLASSE et les autres associations étudiantes plus modérées à accepter une entente au rabais qui fut ensuite massivement rejetée par les étudiants. Aussitôt la loi 78 adoptée, les syndicats ont annoncé qu’ils allaient respecter toutes ses clauses, y compris celles qui stipulent qu’ils doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer que les enseignants et les autres employés des universités et des cégeps aident le gouvernement à briser la grève étudiante.
Les syndicats orchestrent maintenant une campagne pour détourner la grève étudiante et le mouvement d’opposition plus large provoqué par la loi 78 derrière le Parti québécois propatronal – comme le démontre le slogan de la Fédération des travailleurs du Québec : «Après la rue, les urnes» – et ils cherchent à étouffer tout appel à une «grève sociale».
Plus tôt ce mois-ci, les Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, une faction non officielle du PQ qui sert de porte-parole à la bureaucratie syndicale, ont publié une lettre dénonçant la «grève sociale», affirmant que cela allait être à l’avantage de Charest. (Voir : Des bureaucrates syndicaux dénoncent la grève des étudiants du Québec)
Et il a été révélé que le président de la FTQ, Michel Arsenault, a écrit au président du Congrès du travail du Canada, Ken Georgetti, pour demander que les syndicats à l’extérieur du Québec n’offrent aucun appui aux étudiants en grève. «La situation au Québec, a écrit Arsenault, est très volatile. … [L]es sections les plus radicales appellent à la grève sociale et nous ne croyons pas qu’il s’agisse de la stratégie à adopter pour le moment. … [L]a meilleure approche est de faciliter une entente et non d’attiser les feux.»
Le président de la CSN, Louis Roy, s’est quant à lui opposé à la grève sociale dans une allocation publique, alors qu’il réagissait aux remarques faites par le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, lors d’un colloque tenu le 9 juin et organisé par Alternatives, un groupe de protestation altermondialiste.
«L’évènement a été le théâtre de tentatives de rapprochement alors que Gabriel Nadeau-Dubois interpelait dans ce sens la CSN», peut-on lire dans un compte-rendu du colloque publié sur le site internet d’Alternatives. «Le porte-parole de la CLASSE a appelé à une grève sociale en septembre, soulignant que la conjoncture y était présentement favorable et qu’il faudrait peut-être attendre 20 ans avant de voir une telle fenêtre d’opportunité se représenter de nouveau.»
Roy a réagi en rejetant catégoriquement l’appel à une «grève sociale», prétextant que les travailleurs ne l’appuieraient jamais. Roy a ainsi soutenu que les travailleurs n’allaient pas lutter, car ils sont trop conservateurs, vivant dans le «confort et l’indifférence», parce qu’ils sont trop opprimés pour réaliser qu’ils sont exploités et parce qu’ils sont intimidés par les lois antisyndicales draconiennes.
«Ça serait leur demander peut-être de prendre un risque trop grand à ce moment-ci» a déclaré Roy en mentionnant une série de lois répressives, dont la loi 160 qui menace d’imposer de sévères sanctions criminelles aux travailleurs de la fonction publique s’ils font grève.
Pour défendre tant bien que mal sa virulente opposition à toute mobilisation de la classe ouvrière contre le gouvernement Charest, Roy a argumenté : «Je vais vous dire sincèrement, la question de la grève sociale au Québec, nous n'avons aucune expertise, personne, là-dedans.» Quelques instants plus tard, il a laissé entendre que, bien qu’il s’opposait à ce genre de mobilisation maintenant, il ne rejetait pas l’idée pour toujours : «Moi je ne suis pas d'accord avec Gabriel sur le fait que la prochaine fenêtre sera peut-être dans 15 ou 25 ans.»
Roy, qui a fait carrière au sein de la bureaucratie de la CSN en se présentant «à gauche», a commencé sa critique de la «grève sociale» en dépeignant la CSN sous des couleurs «radicales». Il a d'abord fait référence à une résolution adoptée par la centrale il y a 40 ans « demandant l’abolition du capitalisme ». Il a ensuite salué la grève d’un jour que les syndicats avaient organisée au Québec et à travers le Canada en 1976 pour protester contre le contrôle des salaires imposé par le gouvernement libéral Trudeau. Il a finalement sauté au début des années 2000 pour affirmer que «nous à la CSN, on a décidé de revenir à ce qu'on appelle la ligne du risque».
La «revue historique» de Roy n’était, demeurons polis, que supercherie.
La résolution de 1972, pour commencer, n'était qu'une adaptation verbale et temporaire au grand soulèvement des travailleurs qui a secoué le Québec à l'époque et qui faisait partie d’une offensive révolutionnaire naissante de la classe ouvrière internationale : la grève générale de 1968 en France, la révolution portugaise de 1974-75 et la grève des mineurs britanniques de 1974 qui a forcé la démission du gouvernement conservateur de Ted Heath.
La CSN et les autres centrales syndicales ont ensuite torpillé cette rébellion des travailleurs au Québec en l'isolant des luttes de la classe ouvrière dans le reste de l’Amérique du Nord, et en le détournant derrière le nationalisme québécois et le parti de la grande entreprise qu'est le Parti québécois.
Les quelque trois décennies par-dessus lesquelles Roy a sauté dans son histoire bâclée de la CSN ont été marquées par les efforts constants des syndicats pour supprimer toute lutte ouvrière contre l'assaut patronal sur les emplois, les salaires et les programmes sociaux, et pour intégrer les appareils syndicaux à de nombreux comités tripartites dans lesquels la bureaucratie joue le rôle d’assistant du patronat et de l’État pour intensifier l’exploitation de la classe ouvrière.
Durant les années 1980, la CSN et les autres centrales syndicales ont saboté à maintes reprises des grèves militantes qui menaçaient le gouvernement provincial. Le cas le plus infâme est quand, en 1983, ils ont isolé une grève des professeurs contre le gouvernement péquiste de René Lévesque qui avait rouvert les conventions collectives pour leur imposer une baisse salariale de 20 pour cent.
En 1996, la CSN et les autres centrales syndicales ont participé au sommet socio-économique du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, donnant leur soutien à des coupes drastiques dans les dépenses sociales au nom du «déficit zéro». Les retraites anticipées prévues dans ce plan ont été utilisées par le gouvernement pour éliminer des dizaines de milliers de postes dans les réseaux de la santé et de l'éducation. Lorsque les infirmières se sont révoltées en 1999 contre les conditions horribles causées par ces coupes, les syndicats les ont laissées affronter seules le gouvernement et sa brutale loi antigrève.
Roy a ensuite tenté de justifier son opposition à toute mobilisation, même limitée, contre le gouvernement Charest en prétendant qu’ «en 2004, on [les syndicats] a voulu faire une grève sociale», mais les travailleurs n’en voulaient pas. Cela n’est qu’un mensonge. En décembre 2003, une opposition de masse de la classe ouvrière a éclaté et a pris la forme de manifestations, de débrayages et de blocages de routes spontanés. Afin de reprendre le contrôle de ce mouvement, les syndicats ont lancé l’idée d’organiser une grève générale d’un jour, «après les vacances». Après avoir démobilisé et dispersé le mouvement d’opposition, Roy et ses copains bureaucrates ont tenté de rejeter le blâme sur les travailleurs.
Les commentaires de Roy étaient empreints d’une hostilité pour les travailleurs qu’il est censé représenter. À un moment, il les a dénoncés, disant qu’ils étaient hostiles aux étudiants, et affirmant ensuite qu’ils avaient trop peur de défier les lois antisyndicales.
Car, n’a-t-il cessé de répéter, «on parle de renverser une idéologie qui est extrêmement bien implantée, et dans laquelle nos membres vivent un peu dans ... le confort et l'indifférence».
Se plaignant du supposé manque d’ «éducation politique» des travailleurs, Roy a déclaré : «Ça fait plus de dix ans qu'on fait des tournées dans nos assemblées sur la question, par exemple, de l'accord de libre-échange, de la mondialisation, du néo-libéralisme. On a travaillé pendant toutes ces années-là, mais on n'arrive pas à récolter les fruits de notre travail.»
Il s’est par la suite contredit en argumentant que les travailleurs sont si exploités et se sentent si menacés par les sanctions brutales des diverses lois antigrève qu’ils sont terrifiés de participer à une «grève sociale». «Expliquer le principe d'une grève sociale dans une assemblée, avec des gens qui sont déjà exploités, par exemple des travailleurs de Loblaw ou du marché Métro, ce n'est pas évident. … Quand on est devant des travailleuses et des travailleurs qui sont pratiquement au salaire minimum, ces chiffres-là d'amendes, ça fait peur au monde. … C'est la peur qui tient le peuple soumis.»
La réalité est que les syndicats ont systématiquement fait respecter les lois antigrève – de la même façon qu’ils ont juré de respecter la loi 78 – et lorsque des luttes ont éclaté pour défier ces lois, comme la grève des infirmières de 1999, ils les ont isolées et menées à la défaite.
La virulente opposition des syndicats à l’appel pour une grève sociale, leurs efforts concertés pour mettre un terme à la grève étudiante et leur tentative de détourner le mouvement d’opposition dans le mécanisme, contrôlé par la classe dirigeante, des élections et derrière le PQ propatronal montrent que ces organisations ne parlent pas au nom de la classe ouvrière et ne le représentent pas. Sous le contrôle d’une bureaucratie privilégiée dont les intérêts matériels découlent de leur rôle de policier du patronat au sein de la classe ouvrière, les syndicats sont des institutions soutenues par l’État qui étouffent la résistance de la classe ouvrière.
La mobilisation de la classe ouvrière en soutien aux étudiants et contre le programme d’austérité de Charest, de Harper et de toute la classe dirigeante ne peut se produire à travers ces organisations procapitalistes. Cette mobilisation ne peut se développer que dans une rébellion des travailleurs de la base contre elles et par de nouveaux organes de lutte de la classe ouvrière, surtout un parti socialiste révolutionnaire.
(Paru en anglais le 28 juin 2012)