Avec la promulgation d’un décret constitutionnel dimanche soir, le Conseil suprême des Forces armées (CSFA) a finalisé le coup d’Etat organisé jeudi dernier et proclamé la dictature militaire.
Deux jours seulement avant le dernier tour des élections présidentielles égyptiennes, la junte, soutenue par les Etats-Unis, a dissout le parlement dominé par les islamistes et l’assemblée constituante qui était chargée de rédiger une nouvelle constitution.
Par le décret constitutionnel, un amendement à la déclaration constitutionnelle rédigée par l’armée et publiée le 30 mars 2011, le CSFA revendique le plein contrôle sur la vie politique en Egypte.
L’article 56 du décret remet à la junte tous les pouvoirs budgétaires et législatifs jusqu’à l’élection d’un nouveau parlement. L’article 60 B autorise les généraux à décider de la composition de l’assemblée constituante et à contrôler la rédaction d’une nouvelle constitution.
L’article 53 étend davantage encore l’influence économique et politique de l’armée. Il établit que le CSFA est placé au-dessus des lois et garantit le contrôle de l’armée sur tout futur gouvernement, y compris sur le président.
Il spécifie que « les membres sortants du CSFA ont la responsabilité de décider de toutes les questions relatives aux forces armées, y compris la nomination de ses dirigeants et la prorogation des mandats des dirigeants susmentionnés. L’actuel chef du CSFA a la fonction d’agir comme commandant en chef des forces armées et comme ministre de la Défense jusqu’à ce que la nouvelle constitution soit rédigée. »
L’article 53/1 stipule que « le président ne peut déclarer la guerre qu’avec l’assentiment du CSFA. »
Dans ces conditions, les résultats du dernier tour des élections présidentielles entre Ahmed Chafiq, dernier premier ministre sous le président déchu Hosni Moubarak, et Mohamed Morsi, candidat islamiste des Frères Musulmans (FM), n’a que peu de signification. Le futur président ne sera rien d’autre qu’une figure de proue du SCFA.
Le décret n'a été annoncé que 20 minutes après la fermeture des bureaux de vote dimanche. Les élections – qui se sont tenues sous la menace des armes, avec des hélicoptères militaires survolant les bureaux de vote – ont été caractérisées par la fraude et de nombreuses violations. Lundi, les deux camps ont revendiqué la victoire de leur candidat respectif avec 52 pour cent des votes.
Al-Ahram Online et la plupart des médias ont relaté que Morsi était en tête. Les résultats officiels doivent être annoncés jeudi.
Les travailleurs et les jeunes ont réagi par une abstention de masse à la première élection présidentielle depuis le renversement révolutionnaire du dictateur de longue date Moubarak. Les deux candidats sont des représentants droitiers de l’élite dirigeante égyptienne, profondément hostiles à la révolution et largement méprisés au sein de la classe ouvrière.
La mise en scène des élections, le coup militaire et les amendements ont révélé au grand jour la « transition démocratique » promue par l’élite dirigeante égyptienne et ses alliés impérialistes aux Etats-Unis et en Europe, comme une étant une escroquerie cynique. Ces développements ont aussi mis à nu la faillite politique de toutes les forces politiques officielles en Egypte – les islamistes, les libéraux et la « gauche » petite bourgeoise – qui ont déclaré que la démocratie pouvait être établie sous la coupe de la junte.
Cela n’a jamais été l’objectif de la junte d’organiser une « transition démocratique », mais au contraire de protéger le pouvoir et la richesse de l’élite dirigeante égyptienne, à commencer par les privilèges sociaux des généraux. A compter du jour de l’éviction du laquais des Etats-Unis, Moubarak, l’unique objectif du CSFA a été de défendre l’Etat bourgeois égyptien et la domination impérialiste de l’Egypte et de l’ensemble de la région, contre la menace représentée par les grèves et les protestations de masse de la classe ouvrière.
Par le coup d’Etat et les amendements constitutionnels, les généraux cherchent à intimider et à réprimer toute nouvelle lutte de la classe ouvrière, principale force derrière la révolution égyptienne.
L’article 53b du décret autorise l’armée à intervenir pour écraser toute protestation de masse qui défie l’autorité des généraux : « Si le pays est confronté à des troubles internes nécessitant l’intervention des forces armée, le président est habilité à publier une décision pour commanditer les forces armées – avec l’approbation du CSFA – afin d'assurer la sécurité et de défendre les biens publics. »
Un jour avant le coup d’Etat, le SCFA avait publié un décret autorisant l’armée et les forces de police à arrêter quiconque « nuit au gouvernement, » « détruit des biens, » « s’oppose aux ordres » ou « perturbe la circulation. »
L’impérialisme américain, principal défenseur de la junte militaire, est manifestement derrière l’instauration d’un régime ouvertement militaire en Egypte. L’AFP a rapporté que le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Leon Panetta, avait téléphoné le lendemain du coup d'Etat au maréchal Mohammed Hussein Tantaoui, dirigeant du CSFA.
Selon un communiqué du Pentagone, Panetta avait téléphoné « pour débattre des derniers événements en Egypte » en soulignant le besoin de « progresser rapidement avec la transition politique en Egypte, y compris la tenue dès que possible des nouvelles élections législatives. »
Tantaoui a, à son tour, « réitéré » l’engagement de la junte « d’organiser des élections présidentielles libres et justes comme prévu et de transférer le pouvoir à un gouvernement démocratiquement élu d’ici le 1er juillet. » Selon le communiqué, tous deux « sont tombés d’accord sur l’importance de la relation stratégique entre les Etats-Unis et l’Egypte, » et Panetta a dit qu’« il se réjouissait à l’idée de collaborer avec le gouvernement égyptien nouvellement élu afin de promouvoir nos intérêts mutuels. »
Lundi, le porte-parole du Pentagone, George Little, a dit aux journalistes que les Etats-Unis étaient « profondément préoccupés par les nouveaux amendements à la déclaration constitutionnelle, y compris par le moment de leur annonce alors que les bureaux de vote pour l’élection présidentielle étaient en train de fermer.
Les commentaires de Little sont une diversion cynique. L’entretien de Panetta avec Tantaoui au lendemain du coup d'Etat montre clairement que les Etats-Unis soutiennent l’offensive contre-révolutionnaire du SCFA tout aussi fermement qu’ils avaient soutenu le régime de Moubarak durant les tout premiers jours de la révolution, lorsque ce dernier avait durement réprimé par une violence meurtrière les protestations de masse de la classe ouvrière.
(Article original paru le 19 juin 2012)