Les travailleurs et tous ceux qui se préoccupent de la défense des droits démocratiques devraient dénoncer la condamnation pour outrage au tribunal du dirigeant étudiant québécois Gabriel Nadeau-Dubois.
Le plus important porte-parole public de la CLASSE lors de la grève étudiante de six mois qui a pris place cette année à l’échelle de la province, Nadeau-Dubois a été calomnié par le gouvernement libéral du Québec et les médias de la grande entreprise, puis a été l’objet de nombreuses menaces anonymes.
Il est maintenant la cible des tribunaux d’une peine exemplaire pour avoir conseillé de défier une injonction de la cour visant à briser la grève étudiante.
Survenant des mois après la fin de la grève, la condamnation de Nadeau-Dubois sert à intimider tout travailleur ou jeune qui voudrait défier la tentative de la classe dirigeante de rendre illégales les luttes ouvrières et l’opposition populaire.
De plus, elle renforce légalement l’affirmation fallacieuse et antidémocratique que les étudiants n’ont pas le « droit » légal de faire grève, dans le but de renforcir la campagne de la classe dirigeante pour une loi qui viendrait restreindre le droit des étudiants d’organiser des protestations politiques.
Selon le juge à la Cour supérieure du Québec, Denis Jacques, Nadeau-Dubois a encouragé « l’anarchie » et la « désobéissance civile » lorsqu’il a dit à un journaliste de la chaîne de nouvelles RDI le 13 mai dernier, « c’est tout à fait légitime que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève. Et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c’est un moyen tout à fait légitime de le faire. »
Le juge Jacques, lui-même un candidat libéral défait aux élections fédérales de 2004, a condamné Nadeau-Dubois la semaine dernière à effectuer 120 heures de travaux communautaires au cours des six prochains mois.
En avril et début mai, les tribunaux du Québec ont émis une série d’injonctions ordonnant aux universités et aux cégeps (collèges pré-universitaires et techniques) d’offrir des cours à une poignée d’étudiants opposés à la grève, affirmant que la grève, démocratiquement votée, brimait le « droit » des étudiants d’avoir accès à leurs cours.
Pour défendre ce supposé droit, le gouvernement libéral provincial a par la suite adopté la loi 12 (projet de loi 78) qui a criminalisé dans les faits la grève étudiante et imposé de sévères restrictions au droit de manifester partout à travers la province, sur n’importe quel enjeu.
La loi 12 a été utilisée pour intimider les étudiants et leurs partisans, et offrir une période de trois mois pour « calmer la situation » et préparer une mobilisation étatique sans précédent pour écraser la grève. Toutefois, la principale raison pourquoi la grève s’est essoufflée à la mi-août est que les syndicats, leurs alliés des associations étudiantes (la FECQ et la FEUQ) et le parti de « gauche » pro-indépendance Québec solidaire ont systématiquement isolé et saboté politiquement la grève. Sous la bannière « Après la rue, les urnes », le mot d’ordre lancé par la Fédération des travailleurs du Québec, ces forces ont détourné les étudiants et le mouvement plus vaste d’opposition qui avait émergé durant la grève derrière une campagne pour remplacer les libéraux par le Parti québécois (PQ) pro-patronal dans les élections provinciales.
La CLASSE et Gabriel Nadeau-Dubois se sont adaptés à cette campagne. Ils ont abandonné leur appel un mouvement de protestation plus vaste aussitôt que les syndicats ont fait connaître leur farouche opposition et ils ont défendu l’idée qu’une défaite des libéraux aux mains du PQ serait une victoire pour les étudiants.
Sans surprise, le PQ, qui a été capable de former un gouvernement minoritaire depuis l’élection du 4 septembre, a poursuivi le travail des libéraux en mettant en œuvre le programme d’austérité de la bourgeoisie. Le mois dernier, il a présenté un budget qui a été acclamé par la grande entreprise pour ses plus importantes coupes dans les dépenses en 15 ans et la semaine dernière, il a ordonné aux universités d’effectuer des coupes supplémentaires de 120 millions de dollars pour l’exercice financier courant qui se termine le 31 mars prochain.
La poursuite et la condamnation de Nadeau-Dubois, qui ont été accueillies par les grands médias, montrent que l’élite dirigeante est déterminée à développer l’arsenal de mesures répressives qu’elle a déployé contre la grève étudiante.
En condamnant Nadeau-Dubois, le juge Denis a repris les paroles du juge Émond dans une des premières injonctions qui avaient été émises contre les étudiants en grève en disant que les étudiants, contrairement aux travailleurs, n’avaient pas de « droit » de grève reconnu par la loi.
Cet argument a été repris par les recteurs des universités du Québec pour que le prochain sommet de l’éducation du gouvernement du Québec débatte d’une loi pour « règlementer » les grèves étudiantes. Quant au gouvernement péquiste, il a dit qu’il considérait établir un « cadre » pour le syndicalisme étudiant basé sur le Code du travail anti-travailleur de la province. Le Code du travail impose de multiples restrictions sur les mouvements de revendication des travailleurs, rend illégales les grèves politiques et de solidarité et dispose de peines radicales contre les syndicats qui ne respecteraient pas les contrats ou transgresseraient le code.
Prévoyant sans nul doute que Nadeau-Dubois allait porter en appel la condamnation d’outrage au tribunal, le juge Denis a décrit en détail les raisons de la condamnation et de la sentence imposée au dirigeant de la CLASSE.
Citant la condamnation pour outrage au tribunal et l’emprisonnement des dirigeants des trois principales centrales syndicales du Québec pour avoir défié un décret antigrève en 1972, le juge Denis a soutenu que même si Nadeau-Dubois n’était pas visé directement par l’injonction en question, il pouvait tout de même être jugé coupable d’avoir encouragé les gens à défier cette injonction.
Le juge Denis a aussi affirmé que les tribunaux avaient interprété largement ce que signifiait un outrage au tribunal; même si Nadeau-Dubois n’avait pas explicitement suggéré de défier une injonction, cela était la teneur de ses propos du 13 mai. Le juge Denis a opposé à plusieurs reprises l’appel de Nadeau-Dubois à la mobilisation des étudiants pour le maintien de leur mandat de grève voté démocratiquement à l’intervention du président de la FECQ, Léo Bureau-Blouin, qui était alors interviewé par RDI en même temps que le dirigeant de la CLASSE. Bureau-Blouin, maintenant député à l’Assemblée nationale et porte-parole du gouvernement pour sa hausse des frais de scolarité qu’il veut mettre en œuvre l’an prochain, avait exhorté maintes fois les étudiants à « respecter » les injonctions.
La sentence de Nadeau-Dubois est suspendue jusqu’à que sa cause soit portée en appel au début de l’année prochaine.
(Article original paru le 12 décembre 2012)