Les profils des sept membres du Comité permanent du bureau politique du PCC (Parti communiste chinois) rendus publics le 15 novembre mettent en évidence la nature entièrement corrompue et le caractère oligarchique du régime.
Bien que la composition du comité ait été l’aboutissement d'une lutte de factions prolongée entre la Ligue de la jeunesse communiste dirigée par le président sortant, Hu Jintao, et la « Bande de Shanghai » dirigée par l'ancien président Jiang Zemin, ses membres partagent tous des caractéristiques communes. Ils n'ont plus de liens avec la révolution chinoise de 1949 et ils représentent la nouvelle élite de possédants créée par la politique gouvernementale de restauration du capitalisme poursuivie pendant les trente dernières années.
Le nouveau secrétaire général, Xi Jinping, est le représentant du compromis sur lequel se sont mises d’accord les deux factions principales. Seul Li Keqiang, le nouveau premier ministre, est associé avec la faction de la Ligue de la Jeunesse. Deux autres membres, Liu Yunshan et Wang Qishan, sont des figures que les deux factions trouvent acceptables. Les trois autres, Zhang Dejiang, Yu Zhengsheng et Zhang Gaoli, sont étroitement associés à la clique de Shanghai.
Xi Jinping est parvenu au pouvoir du fait de son père, Xi Zhongxun, un bureaucrate de haut rang, chassé en 1965 par Mao car il était considéré comme un « partisan de la voie capitaliste ». La carrière de son père eut un second souffle après l'avènement au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978. Deng le chargea d'établir la première « zone économique spéciale » à Shenzhen. Le jeune Xi passa 22 ans dans les provinces côtières orientales, comme celle du Fujian et du Zhejiang, où il se fit connaître par sa promotion de l'entreprenariat privé.
Le bilan des années que Xi a passé dans le Zhejiang (2002 à 2007) fut loué ainsi par Zong Qinghou, le président de la plus grande entreprise chinoise productrice de boissons, le groupe Hanzhou Wahaha. « Nous n'avions pas besoin de demander une approbation pour chacun de nos actes, comme le choix d'un site pour une usine, » s'enthousiasme Zong. La richesse personnelle de Zong grandit rapidement, il est à présent le 34eme homme le plus riche du monde et ‘pèse’ 19,2 milliards de dollars.
Une enquête réalisée par Bloomberg en juin trouva que les membres de la famille élargie de Xi avaient amassé une fortune de 367 millions de dollars, ce qui comprend des actions dans une entreprise extrayant des minerais rares et contrôlée par l’Etat. Souvent les dirigeants du PCC se servent de membres de leur famille ou même de fausses identités pour dissimuler leurs intérêts. Sans aucun doute, la richesse de cette famille s’envolera dans les prochaines années.
Le nouveau Premier ministre, Li Keqiang, étudiait à l'université de Pékin au début des années 1980 ; c’est à ce moment qu’on a permis aux universités de faire activement la promotion d'idées capitalistes occidentales. Le secrétaire général du PCC, Hu Yaobang, qui dirigea ce qui précéda la faction de la Ligue de la Jeunesse, fut plus tard, en 1986, écarté par Deng pour avoir favorisé une « libéralisation bourgeoise. » La mort de Hu en avril 1989, fut l’occasion de protestations de la part des étudiants qui appelèrent à une « reforme politique » ce qui permit de façon inattendue à la classe ouvrière d’intervenir politiquement et faire valoir ses intérêts de classe. Le régime réagit en déployant l'armée afin d'écraser le mouvement sur la Place de Tienanmen comme dans d’autres régions de Chine. Alors que quelques camarades de classe de Li qui ont participé au mouvement de protestation furent emprisonnés, Li lui-même n’y a pas pris part et fut promu à la direction de la Ligue de la Jeunesse Communiste.
C'est Li encore qui prépara, en coopération avec la Banque Mondiale, le rapport Chine 2030 en février de cette année – un projet visant à ouvrir encore plus l'économie chinoise aux capitaux internationaux, y compris par la privatisation des entreprises d'Etat restantes, un processus qui détruira probablement des millions d'emplois. Li aura la responsabilité d'appliquer ces attaques sociales contres la classe ouvrière.
Li fut aussi responsable de la gestion d'un des pires désastres de santé publique de toute l'histoire contemporaine – l'épidémie de VIH/SIDA qui sévit dans la province du Hénan, lorsqu'il en était le gouverneur et le secrétaire du parti, dans les années 1990. Tout ayant été déréglementé, les grandes compagnies pharmaceutiques avaient acheté du plasma sanguin à des paysans désespérément pauvres. Des pratiques dangereuses pour la santé eurent pour conséquence l'apparition de ‘grappes’ entières de “villages du SIDA” et la mort de milliers de personnes.
Dans la période qui a précédé le 18eme congrès du PCC qui s’est tenu du 8 au 15 novembre, Zhang Dejiang fut envoyé comme remplaçant du dirigeant Bo Xilai, lui-même déposé de son poste de secrétaire du parti à Chongqing. Zhang Dejiang déclara aux journalistes présents au congrès « qu'il n'y a[vait] pas de modèle Chongqing. » Dans les conditions d'un approfondissement de la récession mondiale, le “modèle” de Bo Xilai qui consistait à faire dépendre le financement de budgets sociaux limités d’une croissance des exportations, n'était pas viable. Quand Zhang prit en charge le gouvernement de Chongqing, il y avait d'énormes dettes, atteignant 80 milliards de dollars. Il insista pour dire qu'il n'y aurait pas de changement de cap à la politique pro-marché de « réforme et d'ouverture » à Chongqing, car selon lui la tâche principale ne consistait pas à redistribuer la richesse mais à développer l'économie.
Zhang est connu pour sa politique du “laisser-faire” en économie et celle de la poigne de fer envers le prolétariat depuis qu’il dirigea les provinces de Zhejiang et de Guangdong dans les années1990 et au début des années 2000. Dans le Guangdong, il dissimula l'épidémie de SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) en 2002, qui devint une épidémie mondiale. Il ordonna la répression violente de plusieurs manifestations de masse dans les campagnes, y compris la fusillade mortelle de vingt paysans dans le Shan Wei en 2005.
Il est dit qu’il fut impliqué dans le pillage de la compagnie aérienne Shenzhen Airlines. Il avait permit à un homme d'affaire peu connu de prendre en charge la cinquième plus grande compagnie aérienne chinoise en 2005. En 2009, celle-ci déposait son bilan laissant des dettes de 16 milliards de dollars alors que, comme on le croit, des sommes énormes furent transférées à l'étranger.
Yu Zhengsheng déclara aux journalistes présents au congrès qu’il ne verrait aucun inconvénient à ce que ses avoirs soient rendus publics, car « [il] ne possèd[ait] que peu de biens immobiliers ». En fait, il est de réputation notoire à cause des scandales à la corruption impliquant tant les biens immobiliers que les affaires.
Sans le nommer, le magazine financier chinois influent Caijin écrivait en 2011 qu'une femme d'affaires avait monté un empire de vingt sociétés à travers un réseau de corruption impliquant des centaines de responsables et que sa porte d'entrée au régime du PCC était Yu, alors qu’il était secrétaire du parti dans la province de Hubei en 2001. Le même magazine écrivait en 2007 que deux sociétés privées basées à Beijing achetèrent 91,6 pourcent des actions de la plus grande compagnie d'électricité d'Etat de la province de Shandong et dont les avoirs se montaient à 73,8 milliards de yuan, pour un prix de 3,73 milliard de yuan. Une des principales personnalités derrière cette affaire douteuse était Yu.
Après sa nomination au poste de secrétaire du parti à Shanghai en 2007, l’administration de Yu détruisit d'innombrables maisons d'habitants pour faire place à des projets tels que la foire-exposition mondiale de Shanghai, un Disneyland et le tronçon ferroviaire à grande vitesse reliant Beijing à Shanghai, qui apportèrent des profits énormes aux promoteurs immobiliers et aux grandes sociétés.
Liu Yunshan a été le chef haï du Département de la Propagande depuis 2002. Il appliqua le programme de Hu, la construction d’une “société harmonieuse”, en augmentant la censure au moment où le nombre des internautes chinois augmentait jusqu'à atteindre 600 millions. Une nouvelle expression fut inventée alors, « être harmonisé », c'est-à-dire se voir bloquer sur Internet.
En 2003, Liu prit fait et cause pour la transformation de la compagnie d'Etat Beijing Information en première société à actionnariat privé dans le domaine de la presse d’Etat en Chine, le prélude à une vague de plans de restructurations. En 2009, il lança une campagne agressive et nationaliste visant à promouvoir « l'opinion internationale » de la Chine, établissant une diffusion de nouvelles en anglais, 24 heures sur 24, du même style que la chaîne CNN. Il lança aussi l'édition nord-américaine du quotidien China Daily.
Le fils de Liu, Liu Lefei qui a seulement 39 ans, fut jusqu'à récemment le président de la firme CITIC Private Equity. Il fit usage de l'influence politique de son père pour amasser une fortune. Il fut nommé par le magazine Fortune comme un des « vingt-cinq hommes d'affaires les plus puissants d’Asie » l'année dernière.
L'ancien vice-premier ministre Wang Qishang a atteint la notoriété principalement parce qu'il était le gendre d'un ancien membre du Comité permanent du bureau politique, Yao Yiling. Durant la révolte de la Place Tienanmen en 1989, Yao avait soutenu avec ferveur le premier ministre Li Peng qui insistait sur l’usage de la force militaire pour mater la révolte. Par la suite, Wang Qishang participa à l'ouverture accélérée de la Chine et sa transformation en plateforme géante de main-d'oeuvre à bas prix, ce qui incluait les privatisations des années 90 qui détruisirent des dizaines de millions d'emplois
Durant la crise financière mondiale de 2008, Wang appuya la décision d'acheter encore plus de bons du trésor fédéral américain afin de soutenir les renflouements de Wall Street. Le secrétaire au Trésor de l'administration Bush, Henry Paulson, également ancien directeur de Goldman Sachs, fit l'éloge de Wang dans le magazine Time en 2009, déclarant: « Il est l'homme auquel les dirigeants chinois doivent se tourner afin de comprendre les marchés et l'économie mondiale. En conséquence, la Chine a soutenu les actes des Etats-Unis visant à stabiliser nos marchés de capitaux et n'a pas cédé a ceux qui plaidaient pour revenir sur la réforme de l’économie et visaient à l'insularité économique de la Chine vis-à-vis du reste du monde. »
L'ancien secrétaire du parti de la ville de Tianjing, Zhang Gaoli, est issu d'un sous-groupe de la faction de Shanghai, la « bande du pétrole », qui fut auparavant proche de Bo Xilai. Cette faction articule les intérêts des grandes sociétés pétrolières d’Etat qui sont à la recherche de gisements de pétrole et de gaz dans le monde entier, causant l’aggravation des tensions géopolitiques entre la Chine et les autres puissances, particulièrement les Etats-Unis.
La rumeur veut que Zhang ait aidé la famille de l’ex-président Jiang Zemin à développer une “relation spéciale” avec le plus riche milliardaire de Hong-Kong, Li Ka-shing au début des années 2000, quand Zhang était secrétaire du parti de Shenzhen. Li Ka-shing donna 50 milliards de yuan (8 milliards de dollars) via sa compagnie de télécommunications à China Netcom, gérée par le fils aîné de Jiang, en échange de droits sur des terrains convoités pour le développement immobilier. La fille de Zhang est mariée au fils du “Baron du verre” de Hong-Kong, Li Xianyi, qui possède une des plus grandes affaires de fabrication de verre en Chine.
Cette “cinquième” génération de la direction du PCC représente diverses couches de la nouvelle bourgeoisie chinoise qui comprend tant des éléments inféodés au capital financier occidental que des tendances nationalistes recherchant un plus grand rôle pour la Chine sur la scène mondiale. Placés devant un défi de la classe ouvrière, ils mettront vite de côté leurs divergences et s'uniront autour de la répression policière de l’Etat afin de défendre et de préserver leur pouvoir et leurs richesses, et l'ordre capitaliste en Chine.
(Article original publié le 21 novembre 2012)