Les ministres des Affaires étrangères de l'OTAN qui se sont réunis à Bruxelles mardi 4 décembre ont approuvé la demande de la Turquie de déployer des batteries de missiles Patriot et des centaines de soldats américains et d'autres nationalités à la frontière entre ce pays et la Syrie.Le déploiement marquera le franchissement d'un seuil dans la guerre voulue par les États-Unis pour un changement de régime en Syrie, ouvrant la voie, à la manière de ce qui s'est passé en Libye l'an dernier, à une intervention directe des États-Unis et de l'OTAN.
La Turquie, qui a joué un rôle de premier plan dans l'approvisionnement d'armes, d'argent, de combattants étrangers et d'aide logistique aux prétendus "rebelles" qui cherchent à faire tomber le gouvernement du Président Bashar el-Assad, a justifié sa demande en affirmant qu'elle est menacée par la Syrie qui pourrait utiliser des missiles sol-sol armés de têtes chimiques.
Au cours d'une campagne évidemment coordonnée, l'affirmation sans preuve de la Turquie de l'existence d'une menace aux armes chimiques de la part de la Syrie a été amplifiée par des allégations du gouvernement américain et des principaux médias américains. Le New York Times et CNN ont cité de mystérieux « renseignements » sur des mouvements supposés d'armes chimiques en Syrie. Cela a été mêlé à des menaces du Président Barack Obama et de la ministre des Affaires étrangères Hillary Clinton, qui ont parlé d'une « ligne rouge » dont la Syrie s'approcherait et qui entraînerait une intervention militaire américaine directe.
Si la population américaine ressent une étrange impression de déjà-vu, il y a à cela de bonnes raisons. Pour la deuxième fois en dix ans, Washington menace de lancer une guerre au Moyen-Orient sans y avoir été provoqué en s'appuyant sur des «renseignements » douteux concernant « des armes de destruction massive. »
Il y a cependant une différence très significative entre la manière dont cette histoire est présentée par le gouvernement Obama et la manière dont elle l'avait été par George W. Bush. Les mensonges utilisés pour justifier la guerre contre l'Irak comprenaient des affirmations non seulement sur des armes de destruction massives irakiennes inexistantes, mais aussi sur le risque supposé que ces armes tombent entre les mains de terroristes d'Al-Qaïda, entraînant de nouvelles attaques de l'ampleur de celle du 11 septembre. Le gouvernement d'Obama ne fait aucune mention de ce genre de menace.
Ce qui rend cela aussi extraordinaire c'est qu'alors que les allégations sur une présence d'Al-Qaïda en Irak étaient complètement fausses, il est devenu évident que des groupes liés à Al-Qaïda et des combattants étrangers jouent un rôle décisif dans les événements en Syrie.
David Ignatius, chroniqueur du Washington Post sur les sujets de politique étrangère, a écrit lundi que Jabhat al-Nusra, une milice islamiste liée à Al-Qaïda, dispose maintenant de 10 000 combattants sur le terrain en Syrie et constitue « le bras le plus agressif et le plus auréolé de victoires des forces rebelles. »
De même, David Enders de McClatchy Newspapers, dans un reportage depuis la Syrie, a écrit que Jabhat al-Nusra « est devenu essentiel pour les opérations sur le front des rebelles qui se battent pour faire tomber Assad. »
« Non seulement le groupe conduit toujours des attaques suicides qui ont tué des centaines de gens, mais ils se sont révélés d'une importance cruciale dans l'avancée militaire des rebelles. » Enders continue. « Bataille après bataille à travers le pays, Nusra et des groupes similaires se chargent des combats les plus durs sur le front. »
Ces forces liées à Al-Qaïda ont pris des bases militaires syriennes ces dernières semaines, exécutant des conscrits non armés qu'ils avaient faits prisonniers. Le risque qu'ils puissent avoir accès à des armes chimiques est bien réel.
Si le gouvernement d'Obama est silencieux sur ce point, c'est parce que les forces d'Al-Qaïda en Syrie servent d'intermédiaires aux Américains dans la guerre pour un changement de régime. Ils ont été armés jusqu'aux dents par la CIA et les alliés arabes de Washington, notamment le Qatar et l'Arabie saoudite, et se sont lancés dans une guerre civile brutale entre sectes qui vise à détruire le pays et créer les conditions nécessaires pour que les États-Unis imposent un régime à leur botte.
Plus largement, Washington cherche à attiser les forces islamistes sunnites dans toute la région dans le cadre d'un conflit sectaire visant à affaiblir l'influence de l'Iran à majorité Chiite et à préparer une guerre contre ce pays de 76 millions d'habitants, riche en pétrole.
L'alliance entre Washington et Al-Qaïda en Syrie était préfigurée par une relation semblable établie l'an dernier durant la guerre de l'OTAN pour faire tomber le régime du Colonel Mouammar Kadhafi en Libye, au cours de laquelle des éléments du Groupe islamique combattant en Libye, lié de longue date à Al-Qaïda, ont servi de fantassins à l'OTAN. Les islamistes libyens sont devenu un éléments clef des combattants étrangers opérant maintenant en Syrie, pendant que de grandes quantités d'armes prises dans les stocks libyens ont été envoyée aux milices liées à Al-Qaïda luttant contre le régime d'Assad.
Cette dépendance sur de telles forces n'est pas sans risque d'un «contrecoup », cela a été prouvé par l'assaut de septembre dernier contre le consulat américain et une installation secrète de la CIA à Benghazi. Il ne fait aucun doute que Washington perçoit une menace semblable en Syrie, mais croit qu'il pourra s'occuper des islamistes plus tard, une fois qu'ils auront rempli leur mission : saigner la Syrie et faire tomber Assad.
Les événements syriens, comme la guerre en Libye avant cela, ont servi à révéler au grand jour la « guerre contre le terrorisme » américaine comme étant un mensonge éhonté.
L'impérialisme américain est revenu à son point de départ dans son soutien à Al-Qaïda, l'organisation terroriste islamiste qu'il avait initialement encouragée dans les années 1980 pour faire tomber le régime pro-soviétique en Afghanistan, lorsque Ousama Ben Laden collaborait intimement avec la CIA. Tout en affirmant lutter contre le terrorisme, Washington soutient une guerre terroriste en Syrie, avec son lot d'attentats suicides, de voitures piégées explosant dans des quartiers civils, et d'escadrons de la mort sectaires.
Bien sûr, les affirmations antérieures sur les guerres d'Afghanistan et d'Irak censées éliminer Al-Qaïda étaient elles-mêmes des mensonges. En Afghanistan, l'armée américaine et les responsables des renseignements admettent facilement qu'il n'y a pratiquement aucune présence d'Al-Qaïda, et en Irak, l'impérialisme américain est intervenu pour faire tomber un régime laïc qui était un grand ennemi des terroristes islamistes.
Les guerres dans ces deux pays, tout comme l'intervention militaire plus récente en Libye et en Syrie, ont été menées pour établir l'hégémonie américaine sur ces régions de l'Asie centrale et du Golfe persique d'une importance stratégique vitale et contrôler leurs vastes ressources énergétiques.
Aidée et soutenue par des grands médias aux ordres, l'élite dirigeante américaine a utilisé la fiction que l'Amérique est engagée dans une bataille sans fin contre les terroristes afin d'accorder à Washington et à son appareil militaire et du renseignement, l'autorisation de mener des agressions militaires à l'étranger et un assaut frontal contre les droits démocratiques à l'intérieur du pays.
Avec l'intervention en Syrie, ce prétexte idéologique, qui joue un rôle tellement crucial dans la politique américaine depuis plus de dix ans, est réduit en miettes.
(Article original paru le 5 décembre 2012)