Au deuxième jour de la campagne électorale au Québec, le chef du Parti québécois, Pauline Marois, a exhorté les étudiants des cégeps et des universités à mettre fin à leur grève qui dure maintenant depuis près de six mois et qui s’oppose à la hausse radicale des frais de scolarité du gouvernement libéral.
Sous la loi 78 – une loi qui criminalise dans les faits la grève des étudiants – les cégeps doivent reprendre la session d’hiver suspendue avant le 17 août. De nombreux étudiants ont cependant juré de continuer à boycotter leurs cours en défi à la mobilisation policière sans précédent qui est planifiée par le gouvernement libéral pour réprimer la grève et en opposition aux sanctions criminelles prévues dans la loi 78.
Le PQ propatronal a fait semblant d’appuyer les étudiants dans l’espoir de tirer profit du ressentiment populaire envers le gouvernement libéral de Jean Charest, au pouvoir depuis neuf ans. Mais, tout autant que les libéraux, le PQ craint les conséquences politiques d’une confrontation entre les étudiants en grève et l’État. Au nom de garantir la « paix sociale », les syndicats, de proches alliés du PQ, essaient depuis des mois d’isoler les étudiants et de les inciter à retourner en classe.
En demandant aux étudiants de mettre fin à la grève, Marois était flanquée de Léo Bureau-Blouin, l’ancien président de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) dont le mandat a pris fin en juin. Bureau-Blouin a récemment été recruté par le PQ en tant que candidat dans Laval-des-Rapides, une circonscription en banlieue de Montréal.
Marois et Bureau-Blouin ont présenté cette demande du PQ comme une « trêve électorale ». Ils ont tenté de la justifier en soutenant que le premier ministre Charest cherchait délibérément la confrontation avec les étudiants pour détourner l’attention de la population du bilan de corruption et de mauvaise gestion de son gouvernement.
« Ne devons créer un climat social pacifique », a déclaré Bureau-Blouin. « C’est pour cette raison que j’appuie l’idée d’une trêve. Nous devons faire attention pour ne pas jouer le jeu des libéraux. »
Le PQ promet que dans les 100 premiers jours de son gouvernement, il abrogerait la loi 78, annulerait la hausse de 82 pour cent des droits de scolarité sur les sept prochaines années et organiserait un sommet « national » pour discuter du financement et de la gestion des universités, des droits de scolarité, des prêts et bourses, de la dette étudiante et du logement étudiant.
Marois a affirmé qu’à un tel sommet le PQ proposerait l’indexation des droits de scolarité à l’inflation, mais que ce sommet, qui serait dominé par les gestionnaires des universités et les représentants du patronat et du gouvernement, serait libre de faire ses propositions sur la question des droits de scolarité.
Le PQ prétend être un parti de la « gauche », mais il a un bilan de décennies de mesures d’austérité anti-ouvrières et de brutales lois antigrèves. Et bien qu’il ait critiqué certaines mesures libérales de droite, dont la hausse des frais de scolarité et la nouvelle taxe santé, il a aussi dénoncé plusieurs fois le gouvernement pour ne pas avoir réduit les dépenses et les impôts assez rapidement.
Récemment, Marois s’est vantée que même lorsque le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard et Bernard Landry avait fait sa priorité d’éliminer le déficit budgétaire annuel de la province, il n’avait pas augmenté les frais de scolarité.
Mais dans la mesure où les étudiants ont été « épargnés » de droits de scolarité plus élevés, ce fut aux dépens d’autres besoins sociaux fondamentaux. Entre 1996 et 1998, le PQ a imposé les plus importantes coupes sociales de l’histoire du Québec.
Le PQ a une longue expérience dans l’organisation de sommets « nationaux » tripartites, dans la perspective de s’assurer la collaboration des syndicats pour imposer le programme de la grande entreprise. Les mesures péquistes du « déficit zéro » ont justement été préparées politiquement par un tel sommet.
Le PQ n’est pas plus sincère quand il dit s’opposer à la loi 78 que quand il prétend défendre l’accès à l’éducation. Bien qu’il ait promis d’abroger la loi 78 s’il était élu, il soutient, comme les libéraux, que les mesures antidémocratiques de la loi doivent être entièrement respectées d’ici là.
L’« appel à la trêve » du PQ fait partie d’une campagne de toutes les sections de l’establishment pour briser la grève étudiante et le mouvement de contestation plus large qu’elle a engendré.
Tandis que les libéraux, encouragés par la plupart des grands médias, accusent les étudiants de « violence » et se préparent à utiliser les tribunaux et la police pour briser la grève, le PQ et surtout les bureaucrates syndicaux font pression sur les étudiants pour qu’ils mettent fin à la grève, en essayant de se présenter comme leurs « amis » et alliés.
Les syndicats se sont farouchement opposé à l’appel à la grève sociale – un mouvement de protestation plus large qui comporterait des actions militantes ouvrières limitées – lancé par la CLASSE, l’association étudiante qui mène la grève. Ils se sont engagés à maintes reprises à obéir à la loi 78, et même à ses mesures qui les contraignent à faire tout ce qu’ils peuvent pour que les enseignants des cégeps et des universités aident le gouvernement à briser la grève.
Fin mai, au moment même où des centaines de milliers de personnes sortaient dans les rues pour s’opposer à la loi 78 et où la grève menaçait de provoquer un mouvement plus large de la classe ouvrière, le président de la plus grande centrale syndicale de la province, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), écrivait à la direction du Congrès du travail du Canada pour demander qu’aucun appui ne soit donné aux étudiants en grève.
Par la suite, la FTQ a tenté de se défendre et a affirmé que la lettre du président de la FTQ, Michel Arsenault, avait été mal interprétée. Mais en « éclaircissant » la situation le mois dernier, la FTQ a répété qu’elle s’opposait à toutes actions posées en défi à la loi 78 et à toute désobéissance civile.
En se préparant activement à prêter main-forte au gouvernement pour briser la grève, en se pliant à la loi 78, les syndicats tentent de détourner politiquement le mouvement des étudiants et d’opposition plus large derrière une campagne visant à remplacer les libéraux de Charest par le PQ, l’autre gouvernement traditionnel de l’élite dirigeante québécoise.
Le FECQ et son organisation soeur, la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec), collaborent aussi étroitement avec le PQ et les syndicats pour mettre fin à la grève. Elles ont toutes deux exprimé qu’elles s’opposaient à tout défi à la loi 78, refusant même de participer aux manifestations de la CLASSE qui n’avaient pas été approuvées par la police. De plus, elles soutiennent depuis des semaines que les étudiants devraient concentrer leurs forces à défaire les libéraux aux urnes : un appel presque ouvert à voter PQ.
La présidente de la FEUQ, Martine Desjardins, a dit jeudi que son organisation était « neutre » sur la question de la « trêve » avancée par le PQ. Elle a aussi ajouté qu’elle craignait que la poursuite de la grève ne « donne des munitions aux libéraux ».
La CLASSE a rejeté catégoriquement la demande du PQ pour la fin de la grève étudiante. « Nous n’arrêterons pas la mobilisation tant qu’on n’aura pas répondu à nos revendications », a déclaré jeudi un porte-parole de la CLASSE. Mais la CLASSE s’est adaptée à la position des syndicats qui s’opposent farouchement à ce que la grève étudiante ne devienne le catalyseur d’un plus grand mouvement d’opposition contre le programme d’austérité de l’élite dirigeante. La CLASSE a complètement abandonné sa demande pour une grève sociale et n’a pas critiqué sérieusement les syndicats. En effet, à la suite d’une rencontre entre des représentants de la CLASSE et le président de la FTQ Arsenault, un porte-parole de la CLASSE avait dit qu’ils étaient convaincus de la bonne foi de la direction de la FTQ.
Bien que critique de l’orientation électoraliste de la FECQ et de la FEUQ, la CLASSE partage avec elles l’idée que la défaite des libéraux aux urnes constituerait une victoire pour les étudiants, entretenant ainsi des illusions dans le PQ pro-patronal.
Pour que la grève étudiante ne soit pas réprimée par la violence d’État ou par sa subordination aux parties de l’élite dirigeante ou, ce qui semble le plus probable, par une combinaison des deux, les étudiants et leurs partisans doivent se tourner résolument vers la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada. En opposition à l’appareil syndical procapitaliste, la grève doit devenir le catalyseur d’une contre-offensive de la classe ouvrière contre le programme d’austérité mené par tous les partis de l’ordre établi, et d’un développement d’un mouvement politique, armé d’un programme socialiste, propre à la classe ouvrière.
(Article original paru le 4 août 2012)