Quatre jours après le massacre de 34 de leurs camarades par des policiers lourdement armés, les mineurs grévistes de la mine de platine en Afrique du Sud ont défié un ultimatum de la compagnie de reprendre le travail lundi sous peine d’être licenciés.
Indiquant qu’à peine 27 pour cent de l’effectif s’étaient présentés au travail lundi à la mine de Marikana, le propriétaire de la mine, le conglomérat Lonmin basé à Londres, a été obligé d’abandonner sa menace. Il a publié un communiqué disant que personne ne serait licencié pour ne pas être retourné à la mine et a fixé une nouvelle date butoir à mardi matin.
La mine a été incapable de reprendre la production lundi, étant donné que les foreurs, dont quelques 3.000 sont en grève depuis le 10 août, ont refusé de mettre fin à leur grève. Ces travailleurs, qui figurent parmi les plus brutalement exploités d'Afrique du Sud sont indispensables pour l’extraction du platine.
Des milliers de grévistes sont retournés sur la colline qui surplombe la mine et où le massacre a eu lieu lundi. Selon un rapport publié lundi par le Mail & Guardian sud-africain, la région demeure un « champ de bataille couvert de sang. »
« La terre et les buissons avoisinants sont jonchés de morceaux de vêtements ensanglantés alors que de la peinture fraîche jaune marque les endroits où gisaient les corps, » a relaté le journal. « Un bidon de gaz lacrymogène vide a été jeté près du marquage à la peinture jaune et un groupe d’enfants jouaient tout près avec une torche brûlée. »
C’est ici que jeudi dernier une armée de policiers assistés par des hélicoptères et des véhicules blindés a utilisé des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des grenades assourdissantes pour disperser les grévistes, en forçant un groupe à se diriger vers une phalange de policiers en attente, armés d’armes automatiques et de munitions réelles. Des tirs aléatoires et soutenus se sont poursuivis même après qu’un grand nombre de grévistes eurent été tués et blessés dans des scènes rappelant les massacres historiques perpétrés par l’ancien régime d'apartheid à Sharpeville et à Soweto.
Les travailleurs qui ont parlé à la presse sud-africaine étaient visiblement en colère et amers à la fois contre le gouvernement de l’African National Congress pour avoir organisé ce bain de sang et contre la compagnie, Lonmin, pour traiter avec mépris leurs revendications en leur ordonnant de mettre fin à leur grève sous peine de perdre leur emploi dans des conditions où le sang de leurs collègues de travail n’a même pas encore eu le temps de sécher.
« S’attendre à ce que nous reprenions le travail est une insulte. Un grand nombre de nos amis et de nos collègues sont morts, et ils s’attendent à ce que nous retournions au travail. Jamais, » a dit l’un des grévistes, Zachariah Mbewu, à l’agence de presse sud-africaine, South African Press Association (SAPA). « Certains sont en prison et dans des hôpitaux » a ajouté le travailleur, « Si la direction ne nous donne pas ce que nous voulons, nous retournerons dans la montagne, pas dans la clandestinité. »
« Vont-ils aussi tirer sur ceux qui sont à l’hôpital et qui se trouvent dans les morgues ? » a demandé un autre gréviste, Thapelo Modima. « Il vaut mieux de toutes façons être fusillé parce nous souffrons, nos vies ne vont pas changer. Lonmin n’a que faire de notre bien-être. Jusque-là, ils ont refusé de nous entendre, en envoyant la police pour nous tuer. »
Yandisa Matomela, un ouvrier qui travaille occasionnellement dans les mines avoisinantes et qui avait rejoint la lutte des foreurs, a dit au Mail & Guardian : « Le gouvernement est dominé par l’ANC et c'est donc l’ANC qui a tué ces gens. Ils ne s’intéressent pas à nous. La préoccupation du gouvernement c'est la mine, c’est pourquoi la police est là. Bien plus de gens vont mourir si rien n’est fait. »
Alors que le président sud-africain, Jacob Zuma, a déclaré une semaine de deuil national, les agissements du gouvernement ANC montrent clairement que lui et ses alliés clé, la fédération du Congrès des syndicats sud-africains (Congress of South African Trade Unions, COSATU) et les staliniens du Parti communiste sud-africain, appuient pleinement ce massacre.
En annonçant la période de deuil, Zuma a déclaré : « Nous devons éviter de pointer un doigt accusateur et de faire des récriminations. Nous devons nous unir contre la violence d’où qu’elle vienne. Nous devons réaffirmer notre attachement à la paix, à la stabilité et à l’ordre ainsi qu’à la construction d’une société équitable exempte de crime et de violence. »
Naturellement, la « violence » qu’il évoque n’est pas la répression sanglante perpétrée par ses propres forces de sécurité, mais les actions des travailleurs, non seulement des mineurs de platine, mais aussi des habitants des townships appauvries qui ont organisé des protestations combatives contre leurs conditions de vie épouvantables. Quant au fait de « pointer un doigt accusateur », le gouvernement de l’ANC va bien au-delà en faisant des boucs émissaires et en persécutant les victimes du massacre tout en défendant ceux qui l’ont commis.
Le journal de Soweto a cité lundi la commissaire de police Riah Phiyega, une ancienne directrice de banque qui n’occupe ce poste que depuis deux mois, pour avoir dit à la police de ne pas se soucier de la tuerie de masse à Marikana. « La sécurité du public n’est pas négociable, » a-t-elle dit. « N'ayez pas de regrets pour ce qui s’est passé. »
Entre-temps, le gouvernement a clairement fait comprendre qu’il ne montrera aucune pitié pour les 260 grévistes interpellés le jour du massacre. Ils ont été conduits lundi matin dans des conditions qui ressemblent à celles d’un état de siège, dans des cars de police et escortés de véhicules blindés, à un tribunal de la township de Ga-Rankuwa près de Pretoria.
La police a évacué du tribunal plus d’une centaine de partisans des mineurs en les jetant à la rue avant que les travailleurs arrivent en cars à l’intérieur desquels on pouvait les entendre chanter. Les partisans, dont beaucoup de femmes qui essayaient encore de retrouver des maris et des fils disparus, brandissaient des pancartes avec des slogans comme « Libérez les travailleurs innocents. » Certains se sont jetés à terre en pleurant alors que la colonne de prisonniers passait.
« Les officiers de police armés de boucliers ont formé une barricade à l’entrée du tribunal, » a rapporté l’agence d’information SAPA. « Le premier groupe de mineurs, défilant en file indienne, a rempli le côté gauche des bancs du tribunal, qui leur avait été réservé. Certains se tenaient par la main. Leurs vêtements étaient tachés de sang. »
Les avocats de la défense ont souligné que les mineurs qui avaient été accusés de crimes allant du meurtre à la violence publique et au vol, n’avaient pas comparu devant un juge dans les 48 heures qui ont suivi leur arrestation, comme l'exige la loi sud-africaine. L’accusation a plaidé contre une libération sous caution des mineurs dont certains sont des immigrés venus de pays africains avoisinants, en affirmant qu’ils ne disposaient pas d’adresses connues. La défense a répliqué que les baraquements dans lesquels dorment les travailleurs en dehors de leurs heures de travail étaient des adresses et qu’ils avaient droit à une mise en liberté sous caution. Les travailleurs ont été renvoyés en prison et le juge a accordé un report d'audience d’une semaine pour complément d’enquête et pour trouver de nouvelles accusations à leur encontre.
Le gouvernement a aussi annoncé la création d’un « groupe de travail » pour enquêter sur les questions qui ont mené au massacre. En font partie la ministre des Ressources minérales, Susan Shabangu, la ministre du Travail, Mildred Oliphant, la Chambre des Mines et d’autres représentants du patronat, ainsi que le syndicat National Union of Mineworkers (NUM) dont la direction avait tenté dès le début de briser la grève.
A été exclue de ces délibérations, l’Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU), le syndicat qui représente les mineur-foreurs grévistes et qui a été diabolisé par le NUM pour s’être opposé à la collaboration du syndicat plus grand affilié à l’ANC avec les patrons de la mine et le gouvernement.
Le NUM a publiquement accusé les grévistes d’être des « criminels » et l’AMCU d’être des « anarchistes » et des « meneurs » qui devraient être emprisonnés et punis.
Le Parti communiste sud-africain (SACP), aux côté du COSATU, fait partie de l’alliance tripartite qui forme le fondement politique du régime de l’ANC ; ces responsables syndicaux ont joué un rôle criminel clé dans la justification du massacre et la dénonciation des victimes.
Le secrétaire général du NUM, Frans Baleni, a publié lundi sur le site internet du syndicat l’enregistrement vidéo d’une déclaration mettant en garde contre « les forces sombres qui induisent en erreur nos membres en leur faisant croire qu’ils ont un pouvoir spécial pour changer leur vie du jour au lendemain, » en faisant référence à l’AMCU et à d’autres syndicats plus combatifs.
Le COSATU a dit qu’il « réitère son appel aux travailleurs à observer un maximum de discipline et d’unité en dépit d’une tentative impitoyable de les diviser et de les affaiblir » en déclarant son « plein appui » pour les efforts du NUM « pour résoudre la situation. » Ces efforts ont consisté à justifier par avance le massacre et à envoyer ensuite le président du NUM parler aux grévistes à l’aide d’un mégaphone depuis l’intérieur d’un véhicule blindé de la police pour leur demander de se disperser. Il a été chassé par les travailleurs.
La réaction la plus ignoble a été celle des staliniens du SACP qui ont ouvertement défendu le massacre. Le SACP de la province du Nord-Ouest où le massacre a eu lieu, a accusé les dirigeants des travailleurs en grève – et non la police – d’avoir commis un « acte barbare » et a exigé leur arrestation.
Le responsable du SACP, Dominic Tweedi, a été cité disant : « Ce n’était pas un massacre, c’était une bataille. La police a recouru à ses armes exactement comme elle devait le faire. C’est pour cela qu’elles a ces armes. Les gens qu’elle a abattus n’avaient, à mon avis, pas l’air d’être des travailleurs. Nous devrions nous réjouir. La police a été admirable. »
Dans son communiqué officiel publié le 19 août, le SACP a réclamé que le président Zuma mette en place une commission d’enquête pour concentrer son attention non pas sur la violence meurtrière de la police mais sur le « modèle de violence associé au pseudo-syndicat AMCU » et demandé d’enquêter tout particulièrement sur son président, Joseph Mathunjwa. Qualifiant de « démagogues » et d’« anarchistes » ceux qui s'opposent à la domination du NUM, le SACP a affirmé que le syndicat rival est une création des compagnies minières.
Ces attaques brutales donnent une idée de la crise qui règne au sein de l’ANC et de ses acolytes au sein de l’appareil syndical NUM-COSATU ainsi que du SACP stalinien. Cette crise est générée par une combativité grandissante de la classe ouvrière et de sa résistance à l’encontre de la tentative de ces forces de subordonner ses intérêts au gouvernement et aux entreprises multinationales tout comme aux capitalistes nationaux qu’elles représentent.
Le massacre à Marinaka a servi à la fois à choquer la conscience populaire en Afrique du Sud et à discréditer sérieusement cette alliance réactionnaire ainsi que la couche corrompue d’anciens responsables syndicaux et de politiciens de l’ANC devenus millionnaires qu’elle a engendrés.
(Article original paru le 21 août 2012)