De violents affrontements entre les jeunes et la police ont eu lieu dimanche et lundi soir dans les quartiers Nord d’Amiens, une ville industrielle dans le Nord de la France. A peine huit jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, les avait classés parmi les 15 zones de sécurité prioritaire (ZSP) en France.
Des dizaines de voitures ont été incendiées, des barricades de poubelles enflammées ont été érigées, une école maternelle a été en partie détruite par le feu et un bureau de police saccagé. La facture des dégâts est évaluée à un million d’euros (1,23 million de dollars US). Sept voitures ont été brûlées dans d’autres cités d’Amiens.
La cité, où habitent quelques 15.000 habitants dont une grande partie originaire d’Afrique du Nord, avait été construite dans les années 1960 et 1970. Comme dans de nombreuses autres cités partout en France, le taux de chômage y dépasse 50 pour cent pour les moins de 25 ans et elle a une longue histoire de répression policière. La cité a connu des émeutes en 1989, 1991, 1994, 1999 et en 2005.
Une promesse de campagne clé du président François Hollande avait été d’établir 45 zones de ce type où une présence policière sera déployée en permanence.
Depuis juillet, des escadrons de gendarmes mobiles ont patrouillé dans la cité mais les affrontements se sont intensifiés dimanche lorsque la brigade anti-criminalité BAC a tenté d’arrêter dans la cité un automobiliste pour avoir prétendument emprunté un sens interdit.
La police a affirmé qu’à l’approche d’un groupe hostile de jeunes elle a utilisé des gaz lacrymogènes pour se protéger. A quelques pas de là, un autre groupe qui honorait la mémoire d’un jeune, Nadir Hadji, mort deux jours auparavant dans un accident de moto sans rapport avec les faits, a été touché par les gaz lacrymogènes et ensuite soumis à un contrôle par la police.
Sa sœur, Sabrina Hadji, a dit à Médiapart : « Vers 23 heures, la BAC a contrôlé ce jeune qui était là pour le deuil. Ce n’était pas un banal contrôle, c’était de la provocation. Ça a dégénéré, les policiers s’en sont pris à mon oncle et à mon père. Les CRS sont arrivés et l’un d’eux nous a dit ‘Votre caïd, votre mac, il est sous la tombe.’ Ils ont gazé et tiré au flashball alors qu’il y avait des femmes et des enfants. Nous ne sommes pas des animaux. »
Quelques échauffourées ont eu lieu cette nuit-là, mais la nuit d’après, des jeunes en colère s’en sont pris aux CRS qui avaient été déployés dans la cité. Une centaine de jeunes ont lancé des projectiles et des feux d’artifice lors d’affrontements, qui ont duré trois heures, avec 150 policiers. Ces derniers ont affirmé avoir aussi été touchés par des décharges de chevrotine.
Seize policiers auraient été blessés; aucune arrestation n’a été effectuée.
Les émeutes témoignent du gouffre social qui sépare l’establishment politique et ses forces de sécurité de la classe ouvrière partout en Europe et internationalement. Alors que le chômage et l’austérité sociale s’accroissent après quatre ans de crise économique profonde, l’opposition populaire contre la brutalité policière et l’oppression économique prend des formes de plus en plus explosives.
Le meurtre par la police d’un automobiliste innocent à Tottenham à Londres avait l’année dernière, du 6 au 10 août, déclenché en Grande-Bretagne des émeutes impliquant des milliers de jeunes issus de la classe ouvrière. Ces émeutes furent brutalement réprimées par l’Etat au moyen d’une répression policière massive et de procès improvisés.
En France même, les tensions sociales augmentent rapidement alors que le gouvernement PS nouvellement élu du président François Hollande poursuit la politique sécuritaire et de réduction budgétaire du prédécesseur discrédité de Hollande, Nicolas Sarkozy. L’économie stagne, le taux de chômage national a atteint les 10 pour cent dans un contexte de licenciements de masse continus et de fermetures d’usines, y compris aux alentours d’Amiens, dans la région industrielle du Nord.
Hollande et le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ont réagi en dénonçant les habitants d’Amiens-Nord et en promettant d’augmenter les forces de police. Ayrault a dit qu’il apportait « son soutien aux policiers et à l’ensemble des services de l’Etat » en condamnant les « faits inacceptables » à Amiens et en promettant « la plus grande fermeté à l’égard de leurs auteurs. »
En disant que ses pensées allaient à la police d’Amiens, d’Aix et des autres villes touchées par la violence, Hollande a promis des « moyens supplémentaires pour la gendarmerie et la police… des effectifs seront créés alors que pendant trop d’années il y a eu des baisses d’effectifs qui ont été hélas constatés. »
Dans une interview accordée mardi matin à France Info, avant une visite prévue dans l’après-midi à Amiens-Nord, Valls a clairement fait comprendre que le gouvernement était fermement déterminé à poursuivre sa politique impopulaire. En insistant sur une action répressive à Amiens-Nord, il a mis l’accent sur l’imposition de « l’ordre républicain. » Il a ajouté que le gouvernement ne relâcherait pas l’austérité sociale.
Il n’est pas surprenant qu’à l’arrivée de Valls à Amiens-Nord sous une protection policière massive pour sa rencontre avec les élus locaux, il fut hué et chahuté. Il a rencontré la famille de Nadir Hadji mais il ne fut pas en mesure de se rendre dans le quartier comme prévu, et ne put passer qu’en voiture devant l’école maternelle Voltaire incendiée.
Il a insisté et dit « rien ne peut excuser, rien, qu’on tire sur des policiers, qu’on tire sur des forces de l’ordre et qu’on brûle des équipements publics… Je ne permettrai absolument pas qu’on fasse le procès de la police. »
Libération a rapporté que la mère et la soeur de Nadir Hadji « sont sorties de leur entretien avec le ministre aussi en colère qu’avant de le voir. » Sa mère a expliqué « relayant les propos des jeunes mais aussi de très nombreux habitants présents dans le quartier…’ Il [Valls] n’a parlé que des policiers blessés pour dire que c’était intolérable. Il ne s’intéresse pas au fait que les policiers nous traitent comme des animaux. Ils nous ont gazé, caillassé. C’est pour ça que les jeunes du quartier sont en colère.’ »
Un travailleur algérien qui voit régulièrement sa mère à la cité a dit au WSWS qu’il déplorait la détérioration des relations sociales dans la cité. Des fonds publics ont été dépensés pour certains projets sociaux durant des années mais le sens profond de l’aliénation sociale n’a pas été éliminé. Il a été particulièrement critique à l’égard du gouvernement de l’ancien président PS, François Mitterrand qui, dans les années 1982/83 (le début de sa politique d’austérité), avait financé de jeunes chefs de bandes pour contrôler la cité. Ceux-ci étaient devenus une milice oppressive et corrompue qui régnait sur les habitants.
Les sections les plus opprimées de la population habitent dans de telles cités.
En 2005, la mort de deux adolescents électrocutés dans un transformateur EDF alors qu’ils se cachaient devant la police avait déclenché trois semaines d’émeutes dans tout le pays – les pires troubles urbains que la France ait connus en 40 ans. Le gouvernement gaulliste du président de l’époque, Jacques Chirac, avait décrété l’état d’urgence pour une durée de trois mois. Les émeutes s’étaient poursuivies dans les cités ouvrières en France, notamment avec la répression des émeutes de 2007 contre la police dans la banlieue parisienne de Villiers-le-Bel.
(Article original paru le 16 août 2012)