Jeudi, devant une mine de platine située dans la province Nord-Est du pays, la police sud-africaine a tiré avec des armes automatiques sur des mineurs grévistes en tuant au moins une dizaine et en blessant de nombreux autres.
La chaîne d’information sud-africaine eNews a dit que ses reporters avaient confirmé que 12 personnes étaient décédées sur les lieux, une centaine de kilomètres à peine de Johannesburg. Après une fusillade de la police qui a duré jusqu’à trois minutes, d’autres journalistes ont compté jusqu’à 18 corps gisant sur le sol près d’un campement de mineurs. La police et des travailleurs des services d’urgence seraient encore en train de ratisser les alentours en quête d’autres victimes.
Le secrétaire général du syndicat des mineurs (NUM), Frans Baleni, a dit qu’au moins une vingtaine de travailleurs auraient pu être tués.
Cette tuerie est survenue au sixième jour d’une grève des mineurs à la mine de Marikana qui appartient à la société britannique Lonmin PLC, la troisième plus grosse entreprise minière de platine du monde. Des milliers de foreurs avaient quitté la mine vendredi dernier pour réclamer un triplement de leur salaire. Les mines de platine figurent parmi celles qui versent les salaires les plus bas en Afrique du Sud, et les mineurs dénoncent le fait que peu de choses a changé dans leurs conditions de vie depuis la fin de l’apartheid il y a près de deux décennies.
Lonmin a fait monter la tension dans le conflit en lançant un ultimatum comme quoi tout mineur ne se présentant pas à son travail aujourd’hui serait licencié. Entre-temps, la police sud-africaine avait, avant le massacre, juré qu’elle mettrait un terme à la lutte des travailleurs. La commissaire de la police de la région, Zukiswa Mbombo, a dit jeudi matin à la presse, « notre intention est de faire en sorte que les gens quittent le lieu de rassemblement illégal où ils se trouvent et c’est ce que nous ferons aujourd’hui… aujourd’hui nous allons mettre un terme à cette affaire. »
Avant d’ouvrir le feu sur les grévistes, dont quelque 3.000 s’étaient rassemblés sur une colline surplombant la mine, la police avait tenté de les en chasser, en les encerclant de fils de fer barbelés et en recourant à des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des canons à eau. C’est dans cet état de confusion créée par ces attaques qu’un groupe de mineurs munis de machettes et de gourdins se sont approchés d’une rangée de policiers disposant d’armes automatiques. Une séquence vidéo de l’affrontement montre la police mitraillant des travailleurs sans défense.
La répression brutale, qui a suscité d’amples comparaisons avec les massacres commis par le régime de l’apartheid à Sharpeville en 1960 ou à Soweto en 1976, a été organisée avec le plein appui du gouvernement du Congrès national africain (ANC) et de son principal partisan syndical, le NUM, qui a collaboré avec la direction et le gouvernement pour briser la grève.
Ce qui est sous-jacent à ce conflit c’est le défi lancé au NUM par un syndicat dissident, l’Association des mineurs et de la construction (Association of Mineworkers and Construction Union, AMCU) qui regroupe une importante section de travailleurs mécontents du NUM parce qu’il subordonne les intérêts des mineurs à ceux des propriétaires de mines et du gouvernement ANC.
Selon certaines estimations, l’AMCU jouit du soutien d’un tiers des mineurs de la mine Lonmin à Marikana et le NUM d’un autre tiers tandis que le reste a préféré n’adhérer à aucun syndicat. Dans les jours qui ont précédé le massacre, dix personnes avaient été tuées lors de violences qui avaient dressé les partisans des deux syndicats les uns contre les autres, ainsi que lors d’affrontements avec la police.
Tous deux, le NUM et le gouvernement ANC se sont empressés de justifier la tuerie à Marikana alors même que les masses en Afrique du Sud se sont montrées choquées par l’effusion de sang.
Le porte-parole du syndicat des mineurs NUM, Lesiba Seshoka, a dit à la presse, « La police ne peut pas rester sans rien pendant que notre pays est pris en otage par des criminels. » Les mineurs ont rapporté que des responsables du NUM ont travaillé directement avec la police pour organiser la répression, en se déplaçant avec eux dans des véhicules blindés Casspir.
Le président sud-africain, Jacob Zuma, de l’ANC s’est déclaré « choqué et consterné face à cette violence insensée. » Il s’est toutefois empressé d’ajouter, « J’ai demandé aux agences chargées de l’application de la loi de faire tout leur possible pour reprendre le contrôle de la situation et pour que les auteurs des violences soient punis » Manifestement, les « auteurs » qu’il a à l’esprit ne sont pas les policiers meurtriers mais leurs victimes parmi les mineurs grévistes.
Le NUM et la fédération syndicale dont il fait partie, le COSATU (Congress of South African Trade Unions, Congrès des syndicats sud-africains), forment un appui solide pour le gouvernement ANC qui, à son tour, défend les intérêts des sociétés minières et d’autres sections du capital étranger et national.
Des syndicats rivaux plus jeunes tels l’AMCU et le syndicat Professional Transport and Allied Workers Union (PTAWU) ont grandi aux dépens du NUM et du COSATU, poussés par la frustration et la colère grandissantes des travailleurs sud-africains face à l’intégration totale de la direction syndicale dans le gouvernement et dans les entreprises.
Ces relations sont incarnées par la figure de l’ancien dirigeant du NUM, Cyril Ramaphosa, l’un des principaux bénéficiaires de la « promotion économique des Noirs » (« black empowerment ») qui avait suivi la chute de l’apartheid. Lui, tout comme un certain nombre d’autres, ont rejoint des conseils d’administration, se sont appropriés des contrats gouvernementaux et ont amassé des fortunes. A présent l’un des hommes les plus riches d’Afrique du Sud, la fortune personnelle de Ramaphosa a été évaluée l’année dernière à plus de 275 millions de dollars, une importante part étant constituée en participations dans des biens miniers.
L’AMCU avait obtenu un appui suffisamment grand à la mine de Lonmin pour que l’entreprise lui accorde le statut de syndicat. A la mine de Rustenburg, du groupe minier Impala, le deuxième plus gros producteur de platine du monde, le syndicat a affirmé représenter plus de la moitié des 20.000 travailleurs et l’entreprise a décidé de procéder à un audit indépendant pour déterminer lequel des syndicats agira comme agent unique lors des négociations.
Ces défections dans les rangs des syndicats affiliés à l’ANC sont symptomatiques du mécontentement grandissant au sein de la classe ouvrière en général et du ressentiment intense éprouvé face au niveau de l’inégalité sociale en Afrique du Sud qui est une des plus élevées du monde. La colère des travailleurs a de plus en plus souvent pour objectif l’ANC et la classe des capitalistes noirs qu’il a favorisée aux dépens des masses laborieuses.
Les troubles survenus dans les régions minières sont allés de pair avec des protestations grandissantes au sein des quartiers urbains plus pauvres au sujet de l’échec à fournir des services adéquats en matière de logement, d’électricité, d’eau et d’assainissement.
Au moins quatre personnes ont été tuées dans les protestations qui se sont emparées de l’Ouest de la ville du Cap au cours de cette dernière semaine et demie. Les troubles ont eu pour conséquence le caillassage de trains, de voitures et de commissariats de police ainsi que le blocage de routes et l’incendie de pneus, les travailleurs et les jeunes étant descendus dans la rue pour protester contre des logements inadéquats, la détérioration de l’infrastructure et des services publics défaillants.
Les troubles ont été attisés par l’impact de la crise capitaliste mondiale sur l’Afrique du Sud dont l’économie est fortement tributaire de l’Europe, frappée par la crise. Le taux de chômage officiel se situe à 25 pour cent alors que beaucoup disent que le chiffre réel serait plus proche de 40 pour cent. Les prévisions de croissance pour cette année ont été réduites à 2,7 pour cent. Les analystes préviennent toutefois qu’au moins 7 pour cent sont nécessaires pour commencer à traiter la crise du chômage.
Entre-temps, les cent personnes les plus riches d’Afrique du Sud ont vu leur revenu net augmenter de 62 pour cent l’année dernière alors même que la moitié des 50 millions d’habitants du pays gagnent moins que le seuil de pauvreté.
Voir aussi:
L’ANC de l'Afrique du Sud a 100 ans : un bilan du nationalisme bourgeois
[13 janvier 2012]
(Article original paru le 17 août 2012)