La tentative de supprimer un rapport de la Commission afghane indépendante des droits de l’Homme (Afghanistan Independent Human Rights Commission, AIHRC) sur les atrocités et les crimes de guerre commis entre 1978 et 2001 par les gouvernements afghans et les seigneurs de guerre est une révélation dévastatrice du régime fantoche pro-américain à Kaboul.
L’AIHCR, une organisation mise en place par le régime de Kaboul lui-même, a recensé les gestes criminels des seigneurs de guerre qui dirigent le régime et ceux des puissances qui les ont soutenus, en premier lieu les États-Unis.
Le rapport, fort de 800 pages et intitulé « Le conflit en Afghanistan depuis 1978 » (Conflict Mapping in Afghanistan Since 1978), a été rédigé par une équipe de 40 chercheurs en collaboration avec des juristes et des experts légistes durant une période de six ans à partir de 2005. Il a présenté la preuve de l’existence de 180 charniers, de meurtres extra-judiciaires, d’arrestations arbitraires, de viols, et de destruction de villes et de villages. Le commissaire Ahmad Nader Nadery a indiqué que le rapport a chiffré à un million les personnes tuées – pas toutes suite à des crimes de guerre – et à 1,3 million les blessés.
Le rapport fait l’inventaire des crimes commis par toutes les parties impliquées dans les guerres menées en Afghanistan, dont ceux du régime soutenu par l’Union soviétique entre 1978 et 1992 et des milices moudjahidines traditionalistes qui l’ont combattu, puis renversé pour ensuite se partager l’Afghanistan.
Le rapport décrit en détail la brutale guerre civile qui a suivi la chute du régime soutenu par l’Union soviétique comme étant des seigneurs de guerre islamistes que Washington a salué en tant que « combattants de la liberté » luttant pour le pouvoir et le contrôle des ressources, y compris le lucratif trafic de l’opium afghan. Les atrocités et les atteintes aux droits de l’homme se sont poursuivies sous les talibans – qui ont été formés avec l’appui du Pakistan et le soutien tacite des États-Unis – ainsi que sous leurs rivaux, les chefs de guerre dans le Nord du pays.
Il n’est donc pas surprenant que des responsables afghans actuels désignés comme responsables des atrocités se sont opposés à la publication du rapport, dont seules certaines parties ont été divulguées à la presse.
Les responsables afghans nommés dans le rapport comprennent le premier vice-président Muhammad Qasim Fahim, un seigneur de guerre tadjik ; le second vice-président Karim Khalili, un seigneur de guerre hazara ; le général Atta Mohammed Noor, un autre dirigeant militaire tadjik qui est actuellement gouverneur provincial ; et le général Abdul Rashid Dostum, un seigneur de guerre ouzbek tristement célèbre qui est le chef d’état-major des armées afghanes.
L’importance politique de telles crapules soulignent le caractère vénal et corrompu du régime du président afghan Hamid Karzai. Ce régime a reposé, dès le départ, sur un réseau de seigneurs de guerre réactionnaires locaux et provinciaux, de commandants de milices et de dirigeants tribaux.
La suppression du rapport sur les crimes de guerre ne serait pas possible sans la duplicité des États-Unis. Selon le New York Times, l’ambassade des États-Unis à Kaboul a contesté sa publication ; les responsables américains ont dit que sa publication « ouvrirait de vieilles blessures ».
Le rapport expose au grand jour non seulement les seigneurs de guerre afghans, mais aussi les États-Unis et leurs alliés, dont l’Arabie saoudite et le Pakistan. Ils ont financé, armé et formé les différentes milices islamistes réactionnaires qui dans les années 1980 avaient combattu le régime soutenu par l’Union soviétique, déchiré le pays dans les années 1990, et qui l’avaient dirigé durant la dernière décennie avec la collaboration de Washington.
S’arrêtant net en 2001, le document passe sous silence les crimes commis par les États-Unis et les forces de l’OTAN qui avaient commencé à occuper l’Afghanistan cette année-là. Et pourtant, le peu de détail donné sur les opérations américaines en Afghanistan durant les derniers mois de 2001 indique qu’il y a bien eu crimes de guerre. La CIA a étroitement collaboré avec les seigneurs de guerre alliés, y compris lors du meurtre de masse de soi-disant détenus talibans dans la forteresse de Qala-e Janghi près de Mazar-e Charif.
Le volumineux rapport ne consacre que deux pages aux « violations des forces américaines ». Celles-ci comprennent toutefois le bombardement américain de civils, le recours aux armes les plus diverses dont des bombes à fragmentation, la détention prolongée de prisonniers sans procès équitable, la torture et les restitutions (renditions).
La susceptibilité de Washington au rapport afghan n’est pas simplement liée à ses crimes passés. En examinant les décennies allant de 1978 à 2001, le document rappelle que l’impérialisme américain n’a pas seulement contribué à créer des monstres tels les Dostum, les Fahim et les Khalili. Il a aussi financé et armé des milices islamistes afghanes et étrangères qui luttent actuellement contre l’occupation américaine – le seigneur de guerre pachtou Gulbuddin Hekmatyar et le réseau terroriste international d’Al Qaïda.
Le fait que des islamistes comme Hekmatyar ont été proclamés par les médias américains « combattants de la liberté » ou dénoncés comme étant des « terroristes » dépendait entièrement de la question s’ils servaient ou non les intérêts américains. Les décrets réactionnaires des talibans, y compris contre les femmes, n’ont été condamnés par Washington qu’à partir de la fin des années 1990 lorsque les talibans étaient devenus un obstacle aux projets américains de construire des pipelines pour acheminer le pétrole et le gaz de l’Afghanistan à l’Asie centrale.
Ce dossier montre le caractère bidon de la « guerre contre le terrorisme » des États-Unis qui a servi de prétexte à des guerres pour promouvoir la domination américaine sur les régions riches en énergie au Moyen-Orient et en Asie centrale et pour mettre en place sur le plan domestique une infrastructure d’État policier.
De plus, actuellement, les États-Unis et leurs alliés européens sont en train d’exploiter les méthodes criminelles développées en Afghanistan et ailleurs au Moyen-Orient. Au nom de la « libération » du peuple libyen, les États-Unis et l’OTAN arment et soutiennent des milices d’opposition, dont celles entretenant des liens avec Al Qaïda, et qui ont renversé Kadhafi grâce à une massive campagne de bombardement de l’OTAN. Le régime actuellement en place à Tripoli se compose d’islamistes, d’aventuriers et d’autres agents américains tout aussi réactionnaires que leurs homologues à Kaboul.
Actuellement, le gouvernement Obama soutient aussi des islamistes, des forces d’Al Qaïda et d’autres milices afin d’évincer le président syrien Bachar al Assad dans le but d’installer un régime pro-américain à Damas.
Washington espère supprimer le rapport afghan pour que ces vérités sur ses crimes commis en Afghanistan n’alimentent une opposition à l’encontre de la politique criminelle qu’ils sont en train de poursuivre partout au Moyen-Orient.
(Article original paru le 1er août 2012)