L’assemblée législative de l’Ontario interdit le keffieh tandis que la classe dirigeante canadienne s’en prend aux manifestations pro-palestiniennes

L'assemblée législative de l'Ontario, la province la plus peuplée du Canada, a voté jeudi en faveur d'une interdiction réactionnaire du port du keffieh à Queen's Park, le siège du gouvernement provincial. Cette décision – qui fait suite à l'introduction secrète de l'interdiction raciste par le président de l'assemblée législative, le député conservateur Ted Arnott – témoigne de l'impitoyabilité avec laquelle la classe dirigeante canadienne réprime toute opposition à son soutien au génocide israélien contre les Palestiniens de Gaza.

Des manifestants portent des keffiehs lors d'une marche de 2000 personnes dans le centre-ville de Toronto, le 28 octobre 2023.

Fin mars ou début avril, Arnott a subrepticement interdit le port de la coiffe traditionnelle des Palestiniens et d'autres peuples arabes dans la «zone législative», qui relève officiellement de l'autorité légale du président du Parlement. La «zone législative» comprend le bâtiment législatif lui-même, les terrains environnants connus sous le nom de «Queen's Park», où de grandes manifestations ont souvent lieu sur toute une série de questions, et le Whitney Block, le bâtiment abritant les bureaux du Parlement. L'interdiction sans précédent s'applique aux membres du corps législatif, à leur personnel et à tous les membres du public.

Arnott a donné une directive privée aux membres du service de protection de l'assemblée législative, la force de police spéciale de l'assemblée, pour ordonner aux députés, au personnel législatif et aux membres du public de retirer leurs keffiehs sans même une annonce publique, un débat ou un vote.

L'action d’Arnott aurait été déclenchée quelques semaines auparavant par un député dont l'identité reste anonyme. Ce député s'est plaint à Arnott de la députée indépendante de Hamilton Centre, Sarah Jama, qui porte toujours un keffieh à l'assemblée législative. Lorsque Jama a qualifié Israël d'«État d'apartheid» en octobre dernier, peu après que le régime d'extrême droite de Netanyahou a lancé son attaque génocidaire contre Gaza, la direction du Nouveau Parti démocratique (NPD) de l'Ontario l'a expulsée du groupe parlementaire du parti.

L'interdiction n'a été révélée qu'après qu'un membre du personnel du NPD qui portait le keffieh tous les jours a reçu l'ordre de l'enlever au début du mois d'avril. Marit Stiles, chef du NPD, a ensuite écrit au président Arnott le 12 avril pour lui demander d'annuler l'ordre. Arnott a répondu dans une lettre datée du 16 avril, déclarant qu'il avait «fait ses recherches» et qu'il avait «conclu que le keffieh est un symbole politique». Le port de symboles et de signes politiques, ou de T-shirts avec des slogans politiques, par les députés et les membres du personnel est interdit dans le bâtiment de la législature, mais pas sur les terrains de Queen's Park ou par les membres du public. Arnott a ajouté que sa décision visait à préserver le «décorum parlementaire».

Le premier ministre de droite Doug Ford, qui, depuis octobre dernier, dénonce régulièrement les manifestants contre le génocide et les traite d'antisémites, a publiquement appelé à l'annulation de l'interdiction. Il a été rejoint par Stiles et le chef du Parti libéral de l'Ontario, Bonnie Crombie, qui ont tous soutenu jeudi une motion parrainée par le NPD visant à annuler l'interdiction. La mesure, qui nécessitait le consentement unanime de la législature pour obliger le président Arnott à reconsidérer sa décision, a, comme on pouvait s'y attendre, échoué après que quelques députés conservateurs aient crié «non» après la lecture de la motion et que l'un d'entre eux, Robin Martin, ait formellement voté contre.

Au-delà des manœuvres et des postures politiques, tout cet épisode souligne à quel point toute critique du génocide soutenu par l'impérialisme, y compris en manifestant de la sympathie pour les conditions horribles auxquelles sont confrontés les Palestiniens de Gaza, est taboue au sein de l'establishment politique canadien.

La supposée réaction d’horreur de Stiles face à l'interdiction et son appel à son annulation, appuyé par Ford et Crombie, reflètent la crainte qu'une provocation politique aussi flagrante n'alimente l'opposition déjà largement répandue au soutien de l'impérialisme canadien au génocide, et ne discrédite davantage le tollé bidon suscité par la classe dirigeante au sujet d'un prétendu «antisémitisme de gauche». Cela est apparu clairement après l'échec du vote. Plutôt que d'appeler à des manifestations contre l'interdiction draconienne ou sa remise en cause, Stiles a poliment remercié Ford d'être «de son côté» sur la question, comme l'a dit la CBC, et l'a exhorté à parler à «ses gens» et à l'amener à «faire ce qu'il faut».

Le NPD est politiquement complice de la création des conditions dans lesquelles une interdiction du keffieh pourrait être imposée. C'est Stiles elle-même qui a demandé l'expulsion de Jama du caucus du NPD parce qu'elle avait qualifié Israël d'État «d'apartheid», une désignation que les Nations Unies et d'innombrables organisations d'aide soutiennent. Les actions de Stiles ont permis au gouvernement Ford de censurer Jama à l'Assemblée législative, l'empêchant de s'exprimer sur quelque sujet que ce soit jusqu'à ce qu'elle présente des «excuses».

Au niveau fédéral, le NPD a continué à utiliser ses votes au Parlement pour maintenir le gouvernement libéral minoritaire, favorable à la guerre et à l'austérité, au pouvoir dans le cadre de l'accord de «confiance et d'approvisionnement». Le Premier ministre Justin Trudeau soutient inconditionnellement le massacre des Palestiniens par Israël, invoquant à plusieurs reprises le «droit» du régime sioniste à la «légitime défense». Le gouvernement a envoyé plus de 28 millions de dollars d'armes à Israël au cours des premiers mois du génocide. À l'intérieur du pays, il a contribué à la répression brutale des manifestations pro-palestiniennes.

En mars, le NPD s'est livré à une farce politique à la Chambre des communes, en présentant une motion qui appelait à la reconnaissance du droit de la Palestine à «l'autodétermination» et à un embargo sur les armes à destination d'Israël, et qui condamnait l'assaut continu d'Israël contre la population de Gaza. Le parti a ensuite entamé des négociations en coulisses avec ses alliés libéraux pour réécrire la motion afin de la transformer en une déclaration de soutien au génocide. La version finalement adoptée contenait une référence explicite au «droit d'Israël à se défendre» et appelait à un cessez-le-feu uniquement après la capitulation totale du Hamas, c'est-à-dire les mêmes formulations que celles utilisées par les Forces de défense israéliennes et le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Le passage appelant à un embargo sur les armes a été vidé de sa substance pour le rendre totalement inefficace.

Le soutien inconditionnel de l'establishment politique au génocide israélien s'est accompagné d'une intensification de la répression étatique à l'encontre des manifestants dans tout le pays. Lundi, 21 manifestants ont été arrêtés par la police à Halifax, en Nouvelle-Écosse, après avoir bloqué la circulation. Les manifestants brandissaient des pancartes déclarant : «Pas la routine habituelle pendant un génocide» et «Libérez la Palestine».

Plus tard dans la journée, 45 manifestants ont été arrêtés par la police à Montréal après avoir occupé une banque du centre-ville pour protester contre le génocide. Six manifestants ont été arrêtés mercredi à Regina, en Saskatchewan, après avoir tenté de bloquer une voie ferrée avec une banderole réclamant un embargo sur les armes.

Le recours par l'élite dirigeante du Canada à la persécution raciste des manifestants pro-palestiniens et à des formes de plus en plus agressives de répression étatique s'inscrit dans le droit fil des développements autoritaires dans tous les grands centres impérialistes. Le vendredi 12 avril, 900 policiers allemands ont pris d'assaut le Congrès palestinien pacifique à Berlin, dispersant le rassemblement et arrêtant les organisateurs. D'éminents orateurs ont été arrêtés à leur arrivée à l'aéroport de Berlin et interdits de parole en Allemagne. Aux États-Unis, la campagne menée par l'État pour réprimer l'opposition au génocide sur les campus a atteint un point culminant jeudi avec l'arrestation par la police de New York de plus de 100 étudiants.

La classe dirigeante canadienne est en guerre : elle se joint à ses alliés américains pour soutenir le génocide israélien, menacer l'Iran et utiliser l'Ukraine comme une force par procuration pour attaquer la Russie et la classe ouvrière dans son pays. Ses actions contre le mouvement anti-génocide, justifiées par l'affirmation bidon qu'elles combattent l'«antisémitisme», sont coordonnées avec la classe dirigeante des autres pays impérialistes.

Les représentants de l'impérialisme canadien n'ont pas le droit de faire la leçon à qui que ce soit sur l'antisémitisme. Depuis des décennies, Ottawa s'est aligné à maintes reprises sur les forces politiques d'extrême droite pour promouvoir ses intérêts impérialistes mondiaux, y compris les nationalistes ukrainiens d'extrême droite qui ont collaboré avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et ont aidé à perpétrer l'Holocauste. L'ovation unanime accordée au criminel de guerre nazi et membre de la Waffen-SS Yaroslav Hunka par la Chambre des communes en septembre dernier, avec Trudeau en tête et soutenu par les ambassadeurs de tous les États du G-7, a démontré la véritable attitude de l'élite dirigeante canadienne à l'égard du peuple juif. Le fait qu'elle associe la criminalité de l'État d'Israël au peuple juif dans son ensemble est en soi une calomnie antisémite.

Alors qu'Ottawa participe aux côtés de Washington à la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre la Russie et soutient à fond le génocide israélien contre les Palestiniens, la classe dirigeante ne peut tolérer aucune opposition à la troisième guerre mondiale qui se développe rapidement. Au cours de l'été 2023, le ministre du Travail de l'Ontario, Monte McNaughton, et le conseiller municipal de Toronto, Brad Bradford, ont fait campagne pour empêcher les réunions organisées par le Mouvement international des jeunes et des étudiants pour l’égalité sociale (IYSSE), le mouvement de jeunesse du Parti de l’égalité socialiste, pour s'opposer à la guerre impérialiste contre la Russie. Ces mêmes forces politiques se livrent aujourd'hui à une chasse aux sorcières contre les opposants au génocide israélien.

Les travailleurs, les étudiants et les jeunes doivent tirer les conclusions politiques qui s'imposent et se tourner vers la construction d'un mouvement socialiste et anti-guerre enraciné dans la classe ouvrière internationale. Ce n'est qu'en mettant fin au système capitaliste historiquement obsolète et en crise qu'il sera possible d'arrêter le génocide du peuple palestinien et la troisième guerre mondiale impérialiste.

(Article paru en anglais le 20 avril 2024)

Loading